Autrice : Christina Wodtke
Un jour quelqu’un (sans doute Andy Grove ou peut-être Peter Drucker) a eu une idée très simple. Il s’est demandé “et si l’on disait aux gens le résultat qu’on attendait d’eux et qu’on leur faisait confiance pour trouver comment parvenir à ce résultat ?”
Cette approche porte le nom de management par objectifs.
L’idée était de dire aux employés par exemple,
- "nous aimerions améliorer votre engagement", ou bien
- "nous aimerions que l'entreprise devienne la numéro un dans le domaine des processeurs", ou encore
- "nous aimerions rendre l'information plus facilement accessible et utilisable mondialement",
et de leur faire confiance pour trouver comment faire évoluer ces chiffres.
Ensuite, quelqu'un d'autre a trouvé une bonne façon pour formater les objectifs, un peu à la manière des objectifs SMART. Il s’agit de fédérer l'entreprise autour d’un objectif visionnaire et des résultats clairs et mesurables. Avec de bons OKR, nous (les dirigeants) pouvons nous assurer que chacun comprend ce que nous attendons de lui.
Cette nouvelle méthode a nécessité un grand changement de mentalité en matière de management. Au lieu de dire aux gens ce qu'ils doivent faire, on doit trouver comment leur dire ce qu’on veut voir se réaliser à l'avenir.
Cela s'est avéré incroyablement efficace car, tout à coup, lorsque vous embauchez des personnes très intelligentes qui détestent le micro-management, vous pouvez tirer parti de leur intelligence et les orienter dans une direction commune. C'est d’ailleurs l'une des principales raisons pour lesquelles Google a adopté les OKR.
L'entreprise est connue pour ses recrutements intensifs. D’une certaine façon, gérer des ingénieurs, c'est comme garder des chats. Au lieu de rassembler les chats vous-même, mettez leur nourriture dehors, ce qui correspond dans cet exemple à donner à des ingénieurs intelligents des objectifs ambitieux et stimulants, puis à observer ce qui se passe ensuite !
Les OKR sont également géniaux parce que tout le monde a besoin de dormir, même les PDG. Donc, si vous essayez de dire à chacune des personnes ce qu'il faut faire, et que votre entreprise dépasse une certaine taille, vous courrez à l’échec et vous allez probablement faire une dépression nerveuse en cours de route.
Ce système très simple des OKR a été repris par des consultants qui voulaient facilement satisfaire leurs clients. Ainsi, lorsqu'un client proposait comme résultats clés la réalisation d'un projet, les consultants se sont contentés de sourire et d'acquiescer parce qu'ils souhaitaient qu’on les engage à nouveau.
Un certain nombre de personnes voulaient créer des logiciels, mais il est très difficile de créer des logiciels axés sur les résultats (conseil de pro, faites-en un tableau de bord !). Certains ont donc créé des logiciels de gestion de projet qui suivaient ce que les gens faisaient plutôt que les résultats qu'ils visaient.
Cela signifie que les fabricants de logiciels et les consultants se sont mis à édulcorer l’approche OKR. Pour se faire de l’argent, ces consultants et autres fabricants de logiciels ont écrit des articles et des livres qui surtout n’offensent personne.
Ils ont publié de mauvais exemples d’OKR tel que :
- Objectif : Recruter trois nouveaux joueurs.
- Résultat Clé n°1 : Assister à 25 matchs pour repérer des recrues potentielles.
- Résultat Clé n°2 : Approcher 30 joueurs au cours de ces matchs.
- Résultat Clé n°3 : Contacter les agents de 10 recrues potentielles.
Pourquoi cet exemple est-il si mauvais ? Parce que vous pouvez réaliser toutes ces activités et ne jamais atteindre le véritable objectif : avoir une équipe de vainqueurs.
De plus, dans quelle mesure n’est-ce pas du micro-management ?
Assister à 25 matchs ? Pourquoi pas 20 ? Pourquoi pas 50 ? Si vous assistez à 25 matchs mais que vous ne trouvez personne avec un bon niveau, vous arrêtez ?
Et si au lieu de ça vous aviez :
- Objectif : Recruter au moins trois joueurs de classe mondiale
- Résultat Clé n°1 : Les nouvelles recrues ont un palmarès de X buts
- Résultat Clé n°2 : Les nouvelles recrues ont un palmarès de passes / blocages / défenses de Y (Je n’y connais absolument rien en sport. Mais je sais reconnaître les résultats quand je les vois).
- Résultat Clé n°3 : Les nouvelles recrues ont la réputation d'améliorer le niveau de jeu des équipes dans lesquelles elles se trouvent ; et cela est validé par au moins 6 références.
Ou bien vous pouvez réfléchir encore plus loin et avoir par exemple
- Objectif : L'équipe dispose des joueurs nécessaires pour gagner
- Résultat Clé : X% des joueurs ont un palmarès de buts de Y
- Résultat Clé : X% des joueurs sont tweetés/FB's environ Y fois par semaine (pour remplir les tribunes de fans !)
- Résultat Clé : X% des matchs sont gagnés avec une différence de but de Y
Je ne m’y connais pas en sport, mais je suis prête à affirmer avec audace que la plupart des propriétaires d'équipes de sport veulent que leurs joueurs gagnent des matchs, ou du moins que leurs équipes soient suffisamment intéressantes pour vendre des billets.
Une fois que vous avez creusé et trouvé le véritable objectif, vous pouvez faire de meilleurs choix quant aux objectifs que vous communiquez à vos collaborateurs.
Quoi qu'il en soit, quelques années après que des consultants et des sociétés de logiciels OKR aient proposé de mauvais exemples, les entreprises ont soudainement essayé d'utiliser les OKR pour faire des choses complètement folles comme gérer toutes les activités de l'entreprise ! Elles essayaient d'utiliser les OKR pour la gestion de la performance et pour la gestion de projet et tout un tas de choses pour lesquelles les OKR n'ont jamais été conçus.
Ed Batista écrit : "Les objectifs sont des médicaments sur ordonnance, pas des aliments”.
Alina Tugend, du New York Times, a récemment demandé à un certain nombre de chercheurs de réfléchir aux avantages et aux inconvénients des objectifs. L'une des sources de Tugend, Lisa Ordóñez, professeur à l'université de l'Arizona, a coécrit un article qui souligne la puissance et l'influence des objectifs ainsi que leurs effets secondaires indésirables :
Les effets bénéfiques de la fixation d'objectifs ont été exagérés et... les dommages systématiques causés par le fait de déterminer des objectifs ont été largement ignorés. Nous identifions des effets secondaires particuliers associés à la fixation d'objectifs, notamment... une évaluation erronée des risques, une augmentation des comportements non éthiques, une inhibition de l'apprentissage, une érosion de la culture de l’organisation et une réduction de la motivation intrinsèque. Plutôt que de considérer la fixation d'objectifs comme un traitement bénin en vente libre pour accroître la motivation, les managers et les chercheurs doivent considérer la fixation d'objectifs comme un médicament sur ordonnance qui nécessite un dosage prudent, et prendre également en compte les effets secondaires nocifs, tout cela sous une surveillance étroite.
Ainsi, lorsque les gens ont essayé d’utiliser les OKR pour apporter à leur entreprise les grands changements dont elle avait besoin, et qu'on leur a dit de mettre des OKR partout, ces personnes ont été frustrées et déçues de leur expérience. Pire encore, les gens ont travaillé très dur pour essayer d'adapter une méthodologie à une fonction pour laquelle elle n'a jamais été conçue, si bien qu'ils n'avaient plus le temps de se concentrer sur les chiffres qui leur indiquaient si leur entreprise était performante ou non. Le processus était devenu plus important que les résultats.
Si ces personnes à qui l'on vendait de la poudre de perlimpinpin à l’OKR étaient intelligentes, elles se seraient posées des questions importantes telles que : est-ce vraiment différent du suivi des actions dans Trello ? N'avons-nous pas des chefs de projet pour s’occuper de ça ? Peut-être devrions-nous simplement donner une formation en management à nos managers pour qu'ils sachent comment faire des évaluations de performance ?
Et si elles étaient vraiment très intelligentes, elles se seraient demandées "pourquoi les OKR sont si importants" et “qu’est-ce qui fait leur succès”. Et cela les aurait ramenés à l'idée d’origine.
Retour à l'essentiel
C’est quoi les OKR ?
Il s'agit d'une méthode de fixation d'objectifs axée sur les résultats, qui donne aux équipes les moyens de déterminer comment assurer la réussite de l'entreprise.
Le reste n’a rien à voir avec des OKR. Tout le reste n'est qu’un élixir de management de projet dans des bouteilles étiquetées OKR. C'est du théâtre d’OKR.
Je vais être tout à fait honnête. Si on arrêtait de m’embaucher pour travailler sur les OKR, cela me conviendrait parfaitement. Il y a beaucoup d’autres choses qui m'intéressent dans la vie, comme notamment la création d'équipes autonomes et la façon d'enseigner la conception de jeux.
J'ai écrit Radical Focus parce que je pensais que les OKR étaient plutôt intéressants. Bien sûr, j'adorerais que vous achetiez mon livre, mais je vais vous dire un secret : la quasi-totalité de mon livre se trouve sur mon blog.
Les OKR ont transformé ma vie. Et ils ont transformé les entreprises avec lesquelles j'ai travaillé.
Il est très difficile de rester concentré sur les résultats que vous souhaitez atteindre lorsque tout le monde vous demande si vous avez progressé sur les projets dans lesquels vous vous êtes engagé. Mais si vous vous concentrez toujours sur les résultats, vous êtes libre de changer de plan d’action dès que vous avez en possession de nouvelles informations.
Si vous vous engagez sur un projet, vous êtes coincé dans ce projet. Mais si vous vous engagez sur un résultat, vous avez la possibilité de vous adapter en fonction des nouvelles informations que vous récoltez.
Nous vivons dans un monde incroyablement compliqué dans lequel nous recevons constamment de nouvelles informations. La liberté de rester agile et de se concentrer sur le résultat peut faire la différence entre le succès et l'échec.
Les OKR font partie d'une philosophie de management plus large qui inclut des éléments comme l’Agile et le Lean.
Les OKR existent afin de préserver des initiatives stratégiques hautement importantes qui pourraient être malmenées par les activités quotidiennes de la vie. Ce qui signifie que nous devons reconnaître qu'il existe une activité quotidienne dans la vie.
Il y a la mise à jour des indicateurs. Il y a tout ce qui relève de la maintenance. Il y a l'image de marque, le marketing et les ventes, et tout cela compte. Chaque entreprise réalise tellement de choses. De plus, des entreprises différentes ont besoin d’approches différentes.
Les OKR viennent s'ajouter à toutes les autres activités de l'entreprise, dans le but de conserver les efforts stratégiques essentiels au premier plan. Or, TOUT NE NÉCESSITE PAS DES OKR, NI TOUT LE MONDE .
Je me demande pourquoi les OKR ont dévié vers la gestion de projet. Peut-être est-ce parce que beaucoup de gens sont orientés vers les solutions, et qu'il est difficile de se concentrer sur les résultats sans tomber amoureux de la solution.
Je me demande si les OKR ne deviennent pas une gestion des tâches parce que certaines personnes pensent que gérer signifie dire aux gens ce qu'ils doivent faire.
C'est peut-être parce que certaines personnes ont peur que le fait de lâcher prise signifie que le travail sera mal fait. Ou peut-être qu'ils ont peur que ce soit bien fait.
Peut-être que c'est parce que certains managers/PDG sont des maniaques du contrôle. Peut-être que certaines personnes pensent qu'elles sont les seules à savoir ce qu'il faut faire ?
Mais si vous dites aux gens ce qu'il faut faire sans leur dire quels sont les résultats que vous voulez obtenir, les gens le font souvent mal parce qu'ils ne comprennent pas ce qu'ils font.
Et le patron en conclut alors qu'il doit exercer davantage de surveillance alors que c'est le contraire qui devrait se produire.
Embauchez bien et lâchez prise.
Publié en français avec l’aimable autorisation de Christina Wodtke.
L’article original est également accessible en anglais.