Conversation avec Rick Klau à propos des OKR, de Google et de l'avenir

Autrice : Marilyn Napier

Marilyn Napier est responsable du marketing de contenu chez Ally.io, partenaire d’In Excelsis.  Elle s’est récemment entretenue avec Rick Klau, que vous connaissez peut-être grâce à la vidéo Youtube "How Google sets goals: OKRs".

Rick a passé plus de 13 ans chez Google, et est actuellement partenaire opérationnel principal de Google Ventures. Avant de rejoindre Google, Rick était vice-président en charge du service aux éditeurs chez FeedBurner, qui a ensuite été racheté par Google. Il possède une grande connaissance des Objectifs et Résultats Clés (OKR) qu'il a généreusement accepté de partager avec nous.

Marilyn : Pouvez-vous nous parler du moment où vous avez commencé à utiliser les OKR chez Google et comment s’est déroulé ce processus pour vous ? 

Rick : La première fois que j’ai utilisé les OKR, c’était juste après l'acquisition de FeedBurner. J'ai rejoint une équipe de développement commercial où l’on m'a dit : “Nous sommes sur le point d’entamer un nouveau trimestre, et l'une des premières choses à faire est de rédiger vos OKR.”

Je n'avais aucune idée de la signification de cet acronyme. Je n'avais jamais entendu personne parler de ce processus. Et honnêtement, ayant travaillé dans des start-ups auparavant, nous n’avions pas vraiment de discipline ou de cadre pour établir des objectifs. Nous devions juste faire ce qui devait être fait et vérifier périodiquement qu'il n'y avait pas de meilleures choses à faire.

Mon premier contact avec les OKR m’a directement fait plonger dans le grand bain. J’ai compris les choses au fur et à mesure, principalement en observant l'équipe qui faisait ce travail et en essayant de comprendre les individus qui m’entouraient.

Quelles étaient leurs caractéristiques communes ?

Ils s'engageaient tous sur un certain nombre de choses. Ils étaient ambitieux. Il y avait des paramètres associés aux quelques objectifs qu'ils s'engageaient à atteindre. Il semblait même qu'ils se préparaient à l'échec dès le départ parce que plusieurs des objectifs semblaient avoir de fortes chances de ne pas aboutir, comme si cela était au delà du champ des possibles.

J'ai appris à mieux comprendre les OKR lors les années suivantes, j’ai alors réalisé qu’ils avaient été essentiels au succès de Google.

Marilyn : Nous parlons beaucoup de la nécessité pour les dirigeants d’adhérer et de s’engager dans cette approche OKR pour qu’elle soit efficace. Dans quelle mesure est-il important d'avoir cet engagement au niveau du leadership pour que cela fonctionne ? 

Rick : Je pense que c’est là le principal enjeu. Si l’équipe dirigeante ne comprend pas ce dont il en retourne ; si elle n’est elle-même pas convaincue de l’idée et ne la communique pas à l’ensemble de l’entreprise... cela ne pourra pas fonctionner. 

Je pense que si vous n'êtes pas prêt à prendre le risque d’échouer, vous allez introduire des freins considérables à votre organisation.

Cela ressemble beaucoup à l'apprentissage d'une nouvelle langue. Lorsque l'entreprise s'engage à utiliser les OKR comme cadre de travail, tout le monde doit en comprendre les codes. Par exemple, si seul le département production comprend le système des OKR, il aura des raisons de refuser certaines choses que les autres personnes de l’entreprise ne comprendront pas. Ils ne disent pas non parce que votre travail n’est pas bon, ils disent non parce qu'ils ont choisi de se concentrer sur des choses de plus grande valeur et à plus fort impact.

Si l'ensemble de l'entreprise parle le même langage, il est beaucoup plus facile d’avoir une conversation. Il est plus simple d’interpréter ce que vous entendez lorsque c’est un autre groupe de personnes qui répond à votre question. Par exemple, à la question “je souhaiterais que vous puissiez vous concentrer sur telle tâche”, le département production peut répondre “nous allons finalement allouer les ressources à d’autres choses car ce n’est pas notre priorité pour ce trimestre”.

C'est beaucoup plus évident lorsque le PDG communique à son équipe l'importance du cadre de référence et la nécessité qu’il y a à le comprendre et à l'adopter dans toute l'entreprise. Je pense qu’il augmente ainsi grandement la probabilité de succès de son entreprise.

Marilyn : Y a-t-il d'autres conseils que vous donneriez à une organisation qui commence à utiliser les OKR afin de réussir la mise en œuvre ? 

Rick : Avant tout, je pense qu'il ne faut pas présumer que vous allez réussir du premier coup.

En regardant en arrière trois mois plus tard (si vous avez déterminé qu'une cadence trimestrielle est appropriée), le premier trimestre peut sembler un peu raté. Mais l'une des meilleures choses qu'un PDG puisse faire est de démontrer à son équipe que personne ne se fera virer si l’un de ses OKR n’a pas réussi à décoller. Personne ne sera puni. Il n’y aura pas de conséquence pour l’équipe. L’important à retenir est que nous avons appris quelque chose. Nous en savons maintenant un peu plus qu’auparavant. Cela nous aidera pour la prochaine série de prédictions que nous aurons à faire sur les résultats à atteindre. Maintenant, nous en savons un peu plus sur les obstacles de l'équipe ou de l’entreprise que nous ne connaissions pas. Nous sommes donc plus intelligents.

L'autre chose que j'aimerai pouvoir modifier dans la vidéo des OKR est sa longueur. Je la rendrai beaucoup plus courte maintenant que je sais que tant de personnes l'ont regardée. 

De plus, une chose que je ne savais pas à l'époque, mais que j'ai apprise au travers des conversations que j’ai eues avec des centaines de fondateurs de startups et d'équipes de direction, est qu’il ne faut pas se préoccuper des OKR individuels, et ce en particulier dans le scénario que vous avez décrit avec le PDG, ou l'équipe, qui essaie de se lancer dans les OKR. La taille de l'entreprise n'a pratiquement aucune importance. Concentrez-vous sur la fixation d'une poignée d'objectifs au niveau de l'entreprise : moins il y en a, mieux c'est.

Les entreprises me disent toujours qu'elles ont besoin de quatre, cinq ou six objectifs. J'essaie de leur dire qu'elles n'en ont besoin que de trois, et que deux seraient même mieux. Ensuite, propagez cela du niveau de l'entreprise au niveau de l'équipe, mais n'allez pas plus loin. 

Pour revenir à mon exemple d'apprentissage d'une langue, faites cela jusqu’à ce que vous ayez développé une aisance dans la façon de communiquer les uns avec les autres sur ce que vous faites et sur ce que vous avez convenu de ne pas faire. En fin de compte, je pense que c'est sans doute encore plus important que les choses auxquelles vous vous êtes engagés. Essayer de traduire cela en engagements individuels sera, je pense, à la fois difficile et pas davantage productif.

Si vous y arrivez du premier coup, je pense que la meilleure chose est de faire en sorte que l'organisation dans son ensemble exécute les tâches avec plus d'agilité, en communiquant les uns avec les autres. Peut-être commencerez-vous alors à voir certaines prédictions d’objectifs se réaliser ? 

Rien n'est plus agréable pour une équipe que d’anticiper un résultat déraisonnable, de faire tout ce qui est en son pouvoir pour qu'il se réalise, puis de regarder en arrière et de se féliciter d’avoir réussi. Cela n’a été possible que parce que l’équipe s’est donné les moyens de réussir.

Cela peut durer deux trimestres, ou une voire deux années. Ensuite, je pense que vous commencerez à avoir certaines personnes dans l'organisation qui perçoivent les OKR comme une façon utile d’entreprendre davantage que ce à quoi elles s’étaient initialement engagées avec leur équipe. Elles se disent que ça vaut le coup d’apprendre cette nouvelle langue.

Chez Google, dans de nombreux cas, la façon dont les gens utilisaient les OKR individuels était un moyen pour eux d'aller au-delà des engagements qu'ils avaient pris : cela améliorerait leur capacité à prendre de nouveaux engagements. C'était presque comme investir avant même d'avoir besoin de la compétence et s’assurer que vous seriez capable de prendre le relais en cas de besoin. Mais je pense que si aujourd’hui une entreprise essayait de tout faire en même temps, ce serait beaucoup plus difficile, et les gens auraient tout un tas de raisons de voir les OKR comme un frein. Cela leur donnerait l'impression que les choses sont plus difficiles à accomplir.

Marilyn : On dirait que chez Google, les OKR étaient tellement intégrés à la façon de travailler que vous n'aviez jamais à réfléchir au processus, car il faisait simplement partie de la culture. Est-ce exact ? 

Rick : Oui, c’est exact. 

Fut un temps où je faisais partie de l'équipe qui a construit ce qui est devenu Google+, et Sergey a été durant plusieurs mois dans pratiquement toutes les réunions stratégiques majeures. Puis, à un moment donné, il a changé d'objectif. C’est à cette période que Google X a commencé à être autonome, et il n'assistait donc plus à autant de réunions. Mais j’ai compris que, parce que les OKR étaient tellement ancrés dans le mode de fonctionnement de l'organisation, nous savions tous assez bien comment Larry et Sergey concevaient la prise de décision, et leur absence ne signifiait pas qu'ils n'étaient pas nécessaires. Ils furent évidemment absolument essentiels tout au long de l'évolution de Google. Cela signifiait que lorsque l'un d'entre nous devait prendre une décision, les quatre autres pouvaient se retrouver autour d'une table et avoir une véritable discussion. C'était comme si nous pouvions les visualiser dans la pièce et imaginer ce qu'ils diraient s’ils étaient là. Le plus souvent d’ailleurs nous arrivions à un consensus parce que le cadre de travail avait déjà été communiqué le trimestre précédent et le trimestre d'avant, stipulant ce qui était vraiment le plus important et la façon de mesurer si nous avions atteint le résultat souhaité.

Cela n'a pas totalement éliminé les requêtes à leur adresser, mais dans 90% des cas, notre équipe et toutes les autres équipes qui avaient des discussions similaires et des décisions à prendre pouvaient les prendre immédiatement, comme si Larry et Sergey avaient été dans la pièce. Ainsi, nous étions plus rapides pour canaliser les discussions et nous mettre d'accord sur le fait que, pour une décision particulière à prendre, le résultat serait meilleur si nous faisions A plutôt que B. En conséquence, pour 90 % de ces décisions potentielles, celles-ci n’avaient pas besoin d’aboutir dans leur boîte de réception et attendre leur retour.

Marilyn : À votre avis, quelle est la partie la plus précieuse des OKR ? 

Rick : J'aimerais pouvoir vous dire que je l’ai toujours su. Mais je pense qu'il m’a fallu des années de conversations informelles après que la vidéo ait commencé à décoller pour m’en rendre compte. 

De mon point de vue, et c’est assez contre-intuitif, la partie la plus précieuse des OKR n'est pas ce qui est dans les OKR, mais ce qui n'y est pas.

Vous vous êtes engagés à atteindre des objectifs. Vous avez défini les métriques qui vous permettront d’estimer le succès si vous atteignez ces objectifs. Mais ce qui compte vraiment, c'est ce que vous vous autorisiez à dire non sans que cela soit une manœuvre politique ou par intérêt personnel. 

Vous avez dit non à son idée mais vous avez dit oui à la mienne. Pour moi, c'est ça la clé, parce que bizarrement, quand vous donnez à vos équipes la permission de dire non aux bonnes idées, elles ne vont pas s’arrêter de produire des bonnes idées mais vont commencer à comprendre qu'il y a un temps et un lieu pour les suggérer. 

Ne soyons pas distraits juste parce que quelqu'un a eu une bonne idée un mardi lors d'une réunion d’avancement, mais finissons ce que nous avions prévu de faire. Il est possible que nous ne réussissions pas à tout faire. En fait, nous ne réussirons probablement pas tout, mais nous aurons appris davantage de choses. On peut ancrer ça. Cela fait ensuite partie de la mémoire institutionnelle de l'organisation, et je saurai que la prochaine fois que j'ai une bonne idée et que quelqu'un me dit rapidement non, ce n'est pas parce que l'idée n'était pas bonne ou que je ne suis pas bon. 

Il n'y a pas de moyen plus rapide de tuer l'élan ou l'initiative dans une entreprise que de décourager la créativité au sein de l'équipe. 

Si vous n'avez pas mis en place un système tel que les OKR, qui facilite la tâche et dédramatise les "non", les gens commencent à être frustrés parce qu'ils ne savent pas comment les décisions sont prises. Ils ne comprennent pas pourquoi leur travail ne semble jamais s'élever au-dessus du lot et les équipes en souffrent. 

En ce qui me concerne, l’objectif que je recherche lorsque je m’adresse à une entreprise pour la première fois est le suivant : à quoi avez-vous dit non, et pas seulement à quoi avez-vous dit non dans le passé, mais comment dites-vous non dans le moment présent ? Avez-vous un procédé qui vous permette d'y arriver rapidement pour éviter que vous ne vous dispersiez inutilement ?

Il y a beaucoup d'autres ingrédients qui rendent, je pense, l’approche OKR si puissante, mais si je devais en choisir un ce serait : à quoi avez-vous dit non et comment l’avez-vous signalé ?

Marilyn : Vous avez récemment quitté Google Ventures. Quelle est la prochaine étape ?

Rick : C'est drôle mais je ne sais pas. Lorsque j'ai finalement annoncé publiquement la nouvelle il y a quelques semaines, plusieurs personnes m'ont contacté en privé pour me demander quelle était la face cachée de cette annonce. Comme si l’on devait toujours avoir quelque chose en tête. En fait, pour la première fois de ma carrière, j'ai suivi mon propre avis.

Au cours des huit à dix dernières années, chaque fois que quelqu'un m'a demandé des conseils en matière de carrière, je lui ai dit : ne décide pas seulement entre le fait de prendre ou de ne pas prendre tel prochain emploi, mais prend le temps d'évaluer plusieurs chemins possibles. Ainsi, lorsque vous vous engagez sur une option, vous ne vous contentez pas de dire oui ou non à cette dernière, vous la comparez à toutes les autres options possibles. Vous optez ainsi pour la meilleure option selon ce que vous cherchez à faire. 

Au cours de cette période particulière, qui dure maintenant depuis plusieurs mois, les conversations que j’ai eues ont été parmi les plus enrichissantes. J'ai parlé à des organisations à but non lucratif, à des startups financées par le capital-risque, ou encore à quelques fondateurs qui réfléchissent à leur prochain projet et qui veulent échanger des idées. Chaque nouvelle semaine a été plus stimulante que la précédente ; je n'ai aucune idée de ce à quoi la suite va ressembler. Cela va probablement prendre encore quelques mois.

La période actuelle est l’une des plus agréables que j'ai eues dans ma carrière, et c’est tout simplement merveilleux. Le seul risque est que j’y prenne trop goût et que je ne veuille pas m'engager. Je pense que je suis peut-être trop focalisé sur l'impact et les résultats, que je veuille faire partie d'une équipe capable de produire des résultats hors normes.  Sans doute la seule chose qui me manque dans cette période est d’être juste moi-même. Je n’ai pas d’équipe en ce moment, alors que j'ai eu le privilège, au cours des 20 dernières années, de faire partie d'équipes extraordinaires. C'est donc ce qui me poussera vers la prochaine étape. J'essaie juste d'être très patient.

Marilyn : Il semble que quoi que vous décidiez, ce sera passionnant. J'ai hâte de savoir où vous allez atterrir. Une dernière pensée que vous aimeriez ajouter ? 

Rick : Maintenant qu'on sait que je ne fais plus partie de GV, j'ai eu des conversations au cours du dernier mois avec un certain nombre de start-up qui m'ont contacté pour savoir si je peux leur accorder un peu de mon temps libre pour discuter avec eux. 

À la fin de la semaine dernière, j’ai eu une discussion avec le PDG d'une startup qui me demandait quels outils utiliser pour déployer les OKR. Je suis depuis longtemps d’avis qu'il ne faut jamais commencer par l'outil avant d'avoir déterminé le cadre ou le processus. Mais ce que j'ai vu au cours de trois conversations consécutives en quelques semaines, c'est qu’essayer de faire du bricolage, soit dans Google Slides ou Sheets (j'ai eu quelqu'un qui essayait de le faire dans Asana) crée un frein et vous perdez votre temps à vous battre contre des choses qui paraissent intuitives. 

C'est vrai. Faisons simplement les bonnes choses puis ensuite faisons le point à la fin du mois ou à la fin du trimestre. Il est difficile d’apprendre à dire non à un grand nombre de bonnes idées, ou d’apprendre comment aboutir à un alignement entre les équipes. L'absence d'une plateforme commune rend les choses encore plus difficiles.

Je ne vous dirai jamais : choisissez n’importe quel outil et vous y arriverez, ce sera facile. Je constate de plus en plus que pour ces équipes qui démarrent, s'engager dans quelque chose (idéalement avec un outil spécialement conçu pour cette initiative) augmente tant soit peu leurs chances de succès. Notamment lorsque vous vous demandez comment mettre l'équipe sur la voie du succès, ou comment éliminer les obstacles évidents qui pourraient se mettre en travers de votre chemin ?

L'une des raisons pour lesquelles j'ai été ravi de discuter avec toi et Vetri au cours des deux derniers mois, c'est parce que je vois qu'il existe des outils qui n'existaient tout simplement pas il y a huit ans lorsque j'ai enregistré cette vidéo et qui, à mon avis, conduisent à libérer un potentiel bien plus grand.  C’est ce qui est passionnant.

Vous êtes impatients de voir la direction que je vais prendre. Moi aussi. C'était amusant d'apprendre à tous vous connaître et de voir où cela nous mènera, parce que je pense que ce que vous êtes en mesure de permettre et d'accélérer pour les entreprises est de très bon augure pour les entreprises qui sont prêtes à faire cet investissement. Donc, je vais m'arrêter là.

Merci Rick pour cette conversation instructive !


Publié en français avec l’aimable autorisation de Marilyn Napier.
Nota : La conversation ci-dessus est également accessible en anglais.

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