Pourquoi la responsabilité d'un résultat clé est cruciale pour le succès des OKR ?

Auteur : Paul Niven

Pourquoi avons-nous besoin d’un responsable pour chaque résultat clé ?

En psychologie, il existe un phénomène connu sous le nom de la "diffusion de la responsabilité". Il fait référence au fait que plus il y a de témoins, plus la responsabilité personnelle d'un témoin individuel diminue. Par conséquent, ceci réduit également sa propension à apporter son aide en cas de besoin. Cela peut s’observer de manière parfois tragique dans les rues des grandes villes lorsqu’une personne est victime d'une agression personnelle ou est en situation d'urgence médicale. Plus il y a de témoins à proximité immédiate, moins il est probable que quelqu’un intervienne. On a tendance à supposer que quelqu'un d'autre que soi interviendra afin de lui offrir l'aide nécessaire.

Si tout le monde détient la responsabilité d'un résultat clé, personne n’en est réellement responsable.

Bien que les enjeux ne soient pas une question de vie ou de mort, cette tendance à se soustraire à la responsabilité directe peut s'appliquer aux résultats clés. Si un responsable n'est pas nommé dès la création d'un résultat clé, il est peu probable que quelqu'un assume automatiquement ce rôle, et l'équipe risque d’imaginer, sans le dire, que le résultat clé "se prendra en charge tout seul". Si cela se produit, peu d'attention sera accordée au résultat clé et cela rendra son succès peu probable. Il est donc essentiel d'identifier dès le départ une personne qui, à la fois, a connaissance du résultat clé et sait ce qu'il faut faire pour l'atteindre.

Quel est donc le rôle du responsable d’un résultat clé ? Commençons par définir ce que ce rôle n'englobe pas. Être responsable d'un résultat clé ne signifie pas que vous êtes le seul responsable de la réalisation du résultat clé. Vous pouvez, bien sûr, demander l'aide d'autres personnes si nécessaire pour atteindre les objectifs fixés afin d’atteindre ce résultat clé. Il peut être pertinent de considérer ce rôle comme celui d’un berger : une personne guidant le processus, le coordonnant et communiquant pour garantir un résultat positif. Par ailleurs, jusqu'à présent, nous avons abordé le rôle d'un responsable comme un rôle individuel. Cependant, il est possible d'avoir jusqu'à deux personnes assumant ce rôle. Au-delà de cela, la diffusion de la responsabilité peut devenir un problème.

Les principales missions du responsable (ou des responsables) d'un résultat clé sont décrites ci-dessous :

Le choix est toujours préférable à l’injonction.

Pour conclure, il est crucial de souligner que le rôle de propriétaire doit être accepté volontairement et, idéalement, avec enthousiasme. Si l’on attribue le rôle de responsable à quelqu'un de peu familiarisé avec les OKR ou s’y intéressant peu, la probabilité d’y arriver est mince. Il faut toujours s'efforcer de trouver une bonne adéquation entre le responsable des OKR et le résultat clé, afin d'augmenter les chances de réussite. 


Publié en français avec l’aimable autorisation de Paul Niven.
L’article original est également accessible en anglais.

Ce qui est Bon, Mauvais et Atroce dans le livre de John Doerr sur les OKR

Auteur : Felipe Castro

En 2018, la publication du livre de John Doerr sur les OKR, Mesurez Ce Qui Compte, s’est accompagnée d’un démarrage retentissant, avec notamment une conférence TED, le retentissement de la cloche d'ouverture du Nasdaq et les éloges de Bill Gates, Jim Collins et Sheryl Sandberg. Doerr, le "Michael Jordan du capital-risque", est l'un de mes héros personnels. Il a été l'un des premiers investisseurs et membres du conseil d'administration de Google et d'Amazon, et je mets un point d’honneur à m'asseoir au premier rang à chacune de ses interventions, comme vous pouvez le voir sur cette photo.

Je cite toujours Doerr lors de mes ateliers sur les OKR, ainsi mes attentes à l'égard du livre étaient donc très élevées. J'avais précommandé le livre depuis un an et je me suis plongé dans sa lecture dès que je l'ai reçu. Beaucoup de personnes s'attendaient à ce que Doerr écrive le livre de référence sur les OKR, mais malheureusement, Mesurez Ce Qui Compte ne tient pas cette promesse.

Disons que, dans l’ensemble, le livre est très bon. Le talent de Doerr se révèle lorsqu'il aborde les OKR à la fois par de la théorie mais aussi par des exemples concrets. J'aurais pu intituler cette critique "Ce qui est excellent, mauvais et atroce", mais ce n'est pas aussi accrocheur.

Une touche de scepticisme

Le diable est dans les détails, et bien que Mesurez Ce Qui Compte fasse un travail fantastique pour ce qui est de présenter la philosophie se trouvant derrière les OKR, le livre comporte de sérieuses lacunes lorsqu'il s'agit de traduire la théorie en pratique. Une des leçons que j'ai tirées après avoir formé des milliers d'individus à la méthode des OKR est la nécessité de rédiger nos livres avec précaution, car les lecteurs pourraient interpréter les textes littéralement. Certaines personnes considéreront Mesurez Ce Qui Compte comme une référence incontestable au sujet des OKR, et au lieu de réfléchir aux principes qui les sous-tendent, elles pourraient simplement reproduire les exemples fournis, même si ces derniers sont de piètre qualité. J'espère que Doerr sera en mesure de rectifier ces lacunes dans une éventuelle nouvelle édition. Néanmoins, dans l'état actuel des choses, il convient donc d'aborder la première édition du livre avec un peu d’esprit critique.

Après avoir parcouru le livre, je me suis retrouvé dans une situation délicate où je devais critiquer le travail du précurseur des OKR. Cependant, en tant que personne qui gagne sa vie en enseignant la méthode des OKR, il est de mon devoir de recommander l'ouvrage tout en y apportant ma contribution personnelle. Mon objectif est d'intégrer une perspective "OKR confrontés au terrain" à la conception "OKR issus de la salle de conférence de la Silicon Valley" de Doerr. Vous penserez peut-être qu’il est prétentieux de contester les enseignements du pionner des OKR. Si tel est le cas, je vous demande de me donner un argument plus solide que "Mais Doerr l'a dit". Plutôt que d’approuver aveuglément un discours d’autorité, je vous invite à chercher à comprendre les principes fondamentaux qui sous-tendent la méthode des OKR.

Sans plus tarder, voici mon analyse de ce qui est Bon, Mauvais et Atroce dans Mesurez Ce Qui Compte.

Le bon

Mesurez Ce Qui Compte apporte de nombreuses informations exclusives sur les OKR, en commençant par l’histoire de leurs origines par Andy Grove au sein d’Intel. Le livre comprend également des témoignages à la première personne des PDG de Google et de YouTube, ainsi que le manuel de formation utilisé par Google pour former ses collaborateurs. Seul Doerr pouvait proposer un ouvrage d'une telle richesse, et il l’a fait avec brio. Il insiste également sur l'importance d'une culture appropriée et sur la nécessité d'obtenir l'adhésion des dirigeants. "Lors de la mise en œuvre des OKR, les dirigeants doivent s'engager publiquement en faveur de leurs objectifs et rester inébranlables", écrit M. Doerr.

Doerr fait un travail incroyable en présentant la philosophie des OKR tout en répondant à certaines des questions les plus courantes.

Passer de la cascade à l'alignement

Doerr remet en cause l'approche traditionnelle où "les objectifs étaient transmis dans l'organigramme comme des tablettes descendues du Mont Sinaï", expliquant les effets néfastes de la transmission en cascade, notamment la perte d'agilité et de flexibilité. Ce faisant, il actualise l'exemple du football de sa première présentation sur les OKR à Google en 1999, qui est plus important qu'il n'y paraît à première vue. En 2013, Rick Klau, de Google Venture, a décidé d'inclure l'exemple du football dans sa vidéo sur les OKR, et depuis lors, il est devenu l'excuse parfaite pour ceux qui veulent une approche de gestion verticale.

Mesurez Ce Qui Compte insiste sur la nécessité de fixer des objectifs bidirectionnels et souligne que "les équipes performantes s'épanouissent grâce à une tension émulatrice entre la fixation d'objectifs de haut en bas et de bas en haut", sur la base des OKR à double cadence, annuelle pour l'entreprise et trimestrielle pour les équipes.

Alors que les objectifs en cascade doivent être fixés à chaque niveau hiérarchique, les OKR permettent une approche différente. Doerr explique que les employés peuvent aligner leurs OKR directement sur les OKR de l'entreprise, en sautant "plusieurs niveaux de hiérarchie". Cette pratique allège et accélère le processus OKR tout en renforçant l'alignement et l'engagement.

Le livre insiste sur le fait que les dirigeants ne doivent plus dicter le travail par le biais d'une cascade descendante. Au contraire, ils doivent "définir le contexte, poser les questions cruciales et fournir les données pertinentes", donnant ainsi aux employés l'autonomie nécessaire pour innover.

Des objectifs ambitieux

Fixer des objectifs ambitieux est à la fois l'un des principes les plus essentiels des OKR et le moins bien compris. Doerr présente deux variantes des OKR : les OKR auxquels on aspire (OKR aspirationnel) et ceux sur lesquels on s’engage (OKR d’engagement). Les OKR aspirationnels sont plus risqués, et les équipes visent à atteindre seulement 60 à 70 % des objectifs de ces objectifs dans l’ensemble. En revanche, les OKR engagés sont plus prédictibles et les équipes s'efforcent de les réaliser dans leur intégralité. Dans mon guide sur les OKR pour les débutants, j'utilise les expressions Viser la lune et Viser le toit, mais la taxonomie de Doerr est plus intuitive. Je l'utilise donc dans mes ateliers.

Dans ce livre de Doerr, Susan Wojcicki, la PDG de YouTube, explique en quoi consistent les objectifs ambitieux  :

Bien que Google vise une note de 0,7 (ou 70 % de réalisation) pour l’ensemble de ses objectifs ambitieux, et même s’il arrive que certains collaborateurs échouent totalement, aucune équipe n'aborde un OKR en se disant "Visons les 70% et considérons cela comme un succès". Tout le monde essaie d'atteindre 100%, surtout lorsqu'un objectif semble à portée de main.

Le livre explique également qu'il n'est pas nécessaire de commencer par des objectifs excessivement ambitieux et qu'il est donc possible de les adapter graduellement avec le temps :

À mon avis, il est préférable que les dirigeants fixent au moins un objectif modéré. Au fil du temps, à mesure que les équipes et les individus acquièrent de l'expérience avec les OKR, leurs résultats clés deviendront plus précis et plus audacieux.

Suivi et ajustement

Ce que je préfère dans ce livre sont ses efforts à mettre en lumière l'importance du suivi des OKR, évitant ainsi l’écueil consistant à les établir puis à les oublier : 

En fin de trimestre (ou pire, en fin d'année), nous nous retrouvons avec des OKR à l’abandon, des “quoi ?” et des “comment ?” sur papier dépourvus de vie ou de sens.

Je trouve également appréciable que Doerr explique que "les OKR sont intrinsèquement adaptables" et qu’il est donc possible de les ajuster au cours du trimestre si nécessaire.

Rémunération

Doerr dédie la seconde moitié de son livre à la gestion continue des performances et à son rapport avec les OKR. Il y parle du "divorce à l'amiable" - un terme que j’ai adoré - entre les OKR et la rémunération, consolidant ainsi un autre principe essentiel des OKR :

Il est primordial de séparer la rémunération (augmentations et primes) des OKR. Ces deux points devraient faire l’objet de deux conversations distinctes, avec leurs propres rythmes et calendriers.

J'aurais souhaité qu'il approfondisse davantage ce sujet, car il suscite fréquemment des interrogations.

Doerr parle de réinventer l'évaluation des performances avec les CFR (Conversations, Feedback, Reconnaissance). Il s'agit d'un cadre intéressant, même s'il semble moins abouti que celui des OKR.

Comme vous pouvez le constater, Mesurez Ce Qui Compte contient beaucoup de bons éléments. Passons maintenant à la partie négative.

Le mauvais

Le livre souffre parfois d’incohérences et de passages déroutants. Doerr semble se contredire à plusieurs reprises, et je crains bien devoir répéter pendant des années “Ce qu'il voulait dire ici, c'était en fait que...".

OKR partagés

Bien que le livre mentionne la nécessité d'une collaboration transversale et de l'utilisation d'OKR inter-équipes, Doerr semble s'opposer, à plusieurs reprises, à l'utilisation d'OKR partagés, un outil puissant permettant de créer de l'alignement que de nombreux collaborateurs de Google utilisent.

Doerr affirme que les OKR "créent des réseaux", mais en parallèle, le livre comporte une citation de Mike Lee, le PDG de MyFitnessPal, affirmant que "la copropriété affaiblit la responsabilité". Lee semble penser que tout le travail est accompli par des individus, alors que les organisations modernes fonctionnent désormais davantage en réseau. Ces réseaux sont composés de collaborateurs travaillant en équipe, ce qui nécessite des OKR partagés. Il n’est pas souhaitable qu'une unité de production au sein de laquelle les concepteurs, les chefs de produit et les ingénieurs vont tous dans des directions différentes.

Les équipes performantes partagent la responsabilité des résultats visés. Elles exercent une pression saine sur leurs pairs et n'acceptent pas les membres d’une équipe qui ne s'engagent pas dans la mission collective. Si vous écoutez Mike Lee, vous risquez de ne jamais créer une véritable équipe, mais seulement un groupe d'individus.

Le seul outil mentionné dans le livre pour créer un alignement transversal consiste à réunir les chefs de service dans la même pièce pour identifier les dépendances, ce qui, bien entendu, n'est pas possible à grande échelle. L'alignement au niveau de la direction ne suffit pas.

Déploiement des OKR

Dans une partie du livre, il est dit que "l'équipe qui déploie le système des OKR , qu'il s'agisse d'un groupe de cadres supérieurs ou d'une organisation entière, doit l'adopter de manière universelle", tandis que, dans une autre partie, il est recommandé de procéder à un essai pilote d'OKR. Le lecteur doit-il adopter un déploiement universel, ce qui est une très mauvaise idée, ou utiliser un pilote ?

Je pense que Doerr voulait dire qu'une fois qu'une équipe ou une unité de production a adopté le système des OKR, il ne devrait plus y avoir d'exception. Adopter un déploiement progressif est une bonne idée, mais les équipes qui ont déjà intégré les OKR doivent s'engager à utiliser un langage commun.

L’atroce

Il y a une question que je pose toujours lors de mes ateliers sur les OKR : Si vous accomplissez toutes vos tâches et que rien ne s'améliore, avez-vous réussi ?

Bien sûr que non. Pour mesurer ce qui compte vraiment, nous devons nous concentrer sur les résultats que nous voulons obtenir.

Paradoxalement, les exemples de Doerr ne mettent pas l'accent sur l’évaluation de ce qui est important. Au contraire, ils présentent les OKR comme un outil de gestion de projet principalement utilisé pour le suivi des livrables. Bien que Doerr cite Marissa Mayer ("Ce n'est pas un résultat clé s'il n'y a pas de chiffre"), la majorité des exemples inclus dans le livre ne répondent pas à ce critère élémentaire.

Des exemples peu glorieux

C'est au niveau des exemples que la situation se corse. Sur les 60 résultats clés énumérés, 32 (53 %) ne sont pas chiffrés. Ils comprennent des éléments tels que "Élaborer un plan de retraite pour les technologies héritées" et "Se concentrer sur l'embauche de managers/leaders de niveau A". Même les propres OKR de Doerr, à l'époque où il travaillait chez Intel, comportent des résultats clés tels que "Développer une démo".

Un bon résultat clé mesure des résultats : la valeur et les avantages que vous apportez à vos clients ou à votre entreprise. Dans les OKR modernes, nous appelons les exemples donnés ci-dessus des initiatives : ce sont des livrables et des tâches associés à la réalisation de vos OKR. Les initiatives sont généralement binaires et échouent donc au test de Marissa.

"Lancer des fonctionnalités permettant aux formateurs de créer des vidéos plus attrayantes" est une initiative, et, de surcroît, une mauvaise initiative. Un bon résultat clé serait "Augmenter le temps de visionnage des vidéos de X à Y".

Qu'en est-il des autres résultats clés cités en exemple ? 18 d'entre eux sont des initiatives de comptage, mesurant le volume des tâches au lieu du résultat commercial. Par exemple, "Réaliser cinq objectifs de référence". Où est la valeur ?

Sur les 60 résultats clés cités en exemple, seuls neuf d’entre eux mesurent des résultats, dont "Atteindre 80 millions d'utilisateurs enregistrés". L'exemple restant comprend à la fois une initiative et un résultat clé : "Lancer l'expérience YouTube VR et faire passer le catalogue VR de X à Y vidéos”.

Réflexion sur les résultats

L'un des principaux avantages de la méthode OKR réside dans le fait qu'elle permette de passer d’une gestion de projet à une véritable réflexion sur les résultats. Il s'agit d'un changement d'état d'esprit important, mais toutes les entreprises peuvent y parvenir. La réflexion sur les résultats est cruciale pour toute organisation qui envisage sérieusement la transformation logicielle ou numérique. Comme l'ont écrit Ron Kohavi et Stefan Thomke dans la Harvard Business Review, la plupart des idées (et donc des projets) échouent :

La grande majorité des [idées] échouent lors des expériences, et même les experts se trompent souvent sur celles qui seront fructueuses. Chez Google et Bing, seules 10 à 20 % des expériences génèrent des résultats positifs. Chez Microsoft dans son ensemble, un tiers s'avère efficace, un tiers aboutit à des résultats neutres et un tiers aboutit à des résultats négatifs.

Ce qui m'étonne, c'est que bien que Doerr cite Radical Focus de mon amie et collègue Christina Wodtke comme une ressource sur les OKR, il ne semble pas avoir compris son message. Christina souligne clairement que les résultats clés doivent porter sur les résultats et non sur les tâches.

Si vous n'êtes toujours pas convaincu, plusieurs auteurs extérieurs à la communauté des OKR ont écrit sur la nécessité de se concentrer sur les résultats, notamment Marty Cagan, Jeff Gothelf et Josh Seiden, Jeff Patton et Barry O'Reilly.

Avant Mesurez Ce Qui Compte, la vidéo sur les OKR de Google Ventures était de loin le document sur les OKR le plus consulté au monde. Elle comportait également de mauvais exemples de résultats clés, tels que "Lancer un onglet monétisant". Heureusement, Rick Klau a partagé les enseignements tirés après la publication de la vidéo, mettant notamment en avant la nécessité de se focaliser sur les résultats : 

Je tiens à remercier Klau d'avoir résolu ce problème.

Objectifs quantitatifs

Le problème suivant est peut-être mineur en apparence, mais il peut conduire à de mauvais comportements : trois des exemples d'objectifs cités dans ce livre sont quantitatifs, notamment "Atteindre 1 milliard d'heures de veille par jour".

Nous devons veiller à ne pas mélanger les objectifs et les résultats clés. Les objectifs représentent des thèmes qualitatifs qui donnent un but et un sens à cet ensemble de résultats clés. Les objectifs quantitatifs ont tendance à semer la confusion et à encourager les individus à se focaliser sur le "comment" : les actions à entreprendre pour les atteindre. Les objectifs qualitatifs peuvent également engendrer des OKR descendants, car un responsable peut transformer l'un de ses résultats clés en objectif pour l'un de ses subordonnés directs.

Résultats cachés ?

Doerr, Grove et Google sont réputés pour leurs approches axées sur les évaluations. Comment en est-on arrivé à de si mauvais exemples ?

Certaines histoires mentionnent des mesures, même si leurs OKR ne les reflètent pas. Ils cachent les résultats. Il est possible que Doerr présume que toutes les entreprises sont déjà fondées sur des données probantes et mesurent systématiquement leurs résultats. C'est peut-être la norme pour les entreprises de son portefeuille, mais c'est loin d'être le cas pour les organisations traditionnelles. Les exemples sont trompeurs et, malheureusement, les lecteurs qui les suivent risquent d’échouer. L'adoption de la méthode OKR est un défi complètement différent dès lors qu'on n'est pas une startup de la Silicon Valley agile et orientée données.

La deuxième cause est que certaines entreprises mentionnées semblent figées dans un état d'esprit informatique. Les histoires de Remind et d'Intuit portent sur les fonctionnalités à livrer plutôt que sur les résultats à atteindre. Ces entreprises semblent considérer les équipes comme de simples usines à fonctionnalités, sans se concentrer sur la création de valeur.

Principaux enseignements

Mesurez Ce Qui Compte est un ouvrage incontournable pour quiconque souhaitant se familiariser avec les OKR. Malheureusement, le livre confronte les lecteurs à une situation déconcertante, qui les oblige à laisser de côté la plupart des exemples qu'il contient.

Au cours des derniers mois, j'ai travaillé sur mon prochain livre publié par Sense and Respond Press, intitulé Goals for Agile Organizations : Scaling OKR from Teams to the Enterprise. Je me suis aperçu qu'avec  des éditeurs compétents on peut significativement améliorer un livre. Vicky, Josh et Jeff ne m'auraient jamais permis de laisser passer des incohérences telles que celles que l'on trouve dans Mesurez Ce Qui Compte. J'espère que Doerr décidera de publier une seconde édition qui abordera les questions susmentionnées, avec peut-être une approche éditoriale différente. Le livre bénéficierait probablement d’une relecture préalable pour ne pas que la communauté OKR répète ces mauvais exemples.

Comme l'indique cette citation tirée de Mesurez Ce Qui Compte, l'adoption de la méthode des OKR est un voyage. Peut-être qu'écrire un livre sur ce sujet fonctionne de la même manière :

"Vous ne parviendrez pas à mettre en place un système parfait dès la première fois. Il ne sera pas non plus parfait la deuxième ou la troisième fois. Mais ne vous découragez pas. Persévérez. Vous devez l'adapter et vous l'approprier".


Publié en français avec l’aimable autorisation de Felipe Castro
L’article original est également accessible en anglais.

Auteur : Rick Klau

Lorsque ma vidéo sur les OKR a commencé à prendre de l'ampleur, les fondateurs d'un certain nombre de sociétés de Google Venture m'ont contacté pour me demander de les aider à mettre en œuvre leurs OKR. Dans les années qui ont suivi, ça a été un aspect de mon travail que j'ai le plus apprécié. C'est même devenu une façon d’observer les entreprises à travers les yeux de leurs équipes, de voir comment ils envisageaient leurs défis et leurs opportunités, et essayaient de réfléchir à la mise en oeuvre de leur(s) grande(s) idée(s). Sauf cette fois-là, qui s'est avérée être un cas typique de ce qu'il ne faut pas faire.

Lorsque le PDG a décidé de mettre en place les OKR, l'entreprise comptait environ 150 employés.  Pour lancer les choses, le PDG m'a invité à assister à la réunion hebdomadaire de son équipe de direction. Tous leurs collaborateurs étaient présents dans la salle, et ils ont commencé la réunion en expliquant qu'à la fin de cet échange, ils voulaient avoir une ébauche des OKR pour le trimestre à venir. Jusque là, tout allait bien.

Je me suis mis devant le tableau blanc et je leur ai demandé quelles étaient, selon eux, les principales priorités du PDG. Quinze minutes plus tard, nous avions une liste d'environ une douzaine de priorités. Comme on pouvait s'y attendre, il s'agissait plutôt d'une liste de ce que chacun des dirigeants présents dans la pièce estimait être important pour lui, et non d'une liste hiérarchisée de ce qui était le plus important pour l'entreprise. J'ai remis à tous les participants sauf au PDG, trois post-it et leur ai demandé de s'approcher du tableau blanc et de mettre un post-it à côté de l'objectif qui leur semblait le plus important.

En regardant le tableau blanc, il était clairement visible que le groupe se rejoignait sur environ 5 priorités, tandis que 5 autres n’avaient reçu que quelques votes chacune, tandis que le reste n'avait reçu qu'un seul vote. Dans les années qui ont suivi, j'ai vu ce schéma se répéter encore et encore. Au lieu d'identifier ce qui a le plus d’importance, chacun a une idée générale de ce qui était très important. Ensuite, on trouve le moins important, suivi du sans importance. L'objectif est donc de faire passer l'équipe du très au plus.

Avant même que nous ne réduisions le top 5 à trois, l'équipe a commencé à comprendre l'intérêt de dire explicitement ce qui était prioritaire et l’intérêt d'accepter ce qui ne l'était pas. J'ai dit à la directrice des finances : "Je ne vous demande pas d’être contente du fait que personne d'autre dans la salle ne se soucie de l'amélioration des marges. Mais je suppose que le seul vote attribué à `améliorer la marge de x%’ était le vôtre ?  Préférez-vous savoir, en début de trimestre, que vos marges ne vont pas s’améliorer ? Ou bien préférez-vous être surprise en fin du trimestre par le fait qu’elles ne se soient pas améliorées ?  Étant donné ce que vous et votre équipe êtes en capacité de faire, que pourriez-vous réaliser si vous étiez vous portiez toute votre attention ailleurs ; à savoir sur l'un des objectifs qui est une priorité absolue pour l'entreprise ?" À contrecœur, la DAF a accepté : elle a préféré concentrer son énergie sur autre chose, et a défini les attentes conjointement avec le PDG et son conseil d'administration. Ils ont commencé à se mettre d’accord.

Nous avons passé la demi-heure suivante à discuter des cinq priorités que nous devions retirer, et nous avons fini par réduire la liste à trois. J'ai demandé au Directeur Technique de prendre un feutre. Il fallait répéter l'exercice, mais cette fois en examinant les OKR du point de vue de l'équipe d'ingénierie compte tenu de ce que nous avions à présent compris comme étant les priorités de l'entreprise pour le trimestre. Il a énuméré chacune des priorités sur lesquelles son équipe se concentrait - il y en avait huit. Je lui ai lancé un défi : “maintenant que vous savez ce qui compte le plus pour l'entreprise, parmi ces huit priorités, lesquelles sont les moins importantes ?  Quelles sont pour vous les trois premières ?”  Après une vive discussion avec ses collègues, il n'en a retenu que trois. Le PDG a même déclaré qu’il n’avait jamais vu une discussion de l'équipe de direction aussi claire. C'était génial.

Vous vous souvenez quand je disais que c'était un cas typique de ce qu'il ne faut pas faire ? C'est à ce moment-là que les choses se sont gâtées.

Lorsque le Directeur Technique s’est mis à conclure, il était manifestement très satisfait des progrès réalisés. "Oh, j'ai oublié une chose : l'Europe." Il a écrit ce mot sur le tableau blanc. Autour de la table les réactions étaient unanimes, tous ont convenu que oui, l'Europe était en effet importante.

J'étais confus. "L'Europe ? Qu’est ce que ça signifie 'l’Europe', exactement ?" Le PDG a clarifié : "Au cours du prochain trimestre, nous allons lancer notre produit dans quatre pays d'Europe ; or avant le lancement, l'équipe ingénierie doit absolument finir de mettre en place dans le support produit spécifique à chaque pays." Tout le monde a hoché la tête.

Nous discutions depuis deux heures de ce qui était le plus important pour l'entreprise pour les 90 prochains jours, et c'était la première fois que quelqu'un pensait à mentionner ce lancement en Europe ? J'ai demandé au groupe : "Ne pensez-vous pas qu’il s’agisse plutôt d’une priorité au niveau de toute l'entreprise ? Et que d'autres départements vont impliqués, non ? Comme les ventes ?  les opérations ?  la finance ? le marketing ? (Avant ces quatre pays, ce produit n'était disponible qu'aux États-Unis).  Après avoir réfléchi quelques instant, ils en ont été convaincus !

Nous sommes ensuite revenus aux trois principaux objectifs de l'entreprise : étant donné qu'ils ont mis du temps pour ce rappeler de cet objectif du trimestre suivant relatif au lancement en Europe, étaient-ils toujours convaincus que ces trois objectifs étaient vraiment leurs principaux ?  (En fait, le lancement en Europe était vraiment l'un d’eux)  Ils sont retournés au tableau blanc, ils ont mis de côté un de leurs trois objectifs initiaux et, en se concentrant à nouveau, le Directeur Technique a continué d’ajuster les objectifs de son équipe afin de s'assurer qu'ils allaient dans la même "direction" que l'entreprise.

Cette réunion a eu lieu il y a presque dix ans, mais je m'en souviens comme si c'était hier. L'entreprise n’avait pas bien géré les choses ;  oublier l'Europe dans une discussion sur leurs principales priorités était le signe d'un manque total de coordination entre les dirigeants de l'entreprise. J'ai fait un débriefing avec l’un des investisseurs qui était au conseil d'administration de l'entreprise, et ils n'ont malheureusement pas été surpris. Cette tentative de rédaction des OKR a été suivie par plusieurs trimestres de "nous devons simplement nous focaliser" ; ce qui signifiait qu’il y avait assez peu de focalisation en réalité et beaucoup d’éparpillement. Moins de deux ans plus tard, la société a fermé. (Non, le lancement en Europe ne s'est pas bien passé).

L'approche pour rédiger vos premiers OKR peut au début sembler un peu chaotique. J'ai réitéré l'approche décrite dans cet article un nombre incalculable de fois, généralement avec de bons résultats. Dans de nombreux cas, c'est en général la première occasion que l'équipe de direction a de participer à une conversation à propos du travail qu’ils font ensemble, à la différence d’une séquence de points d’avancement de chaque équipe. Des décisions sont prises (que se passe-t-il si l’on supprime telle priorité ?  Comment peut-on aider pour accélérer ça ?) ; et une réelle hiérarchisation des priorités a lieu. Au fil du temps, les équipes commencent à s'aligner les unes par rapport aux autres.

Cette approche permet d'accomplir plusieurs choses importantes :


Publié en français avec l’aimable autorisation de Rick Klau.
L’article original est également accessible en anglais.

Auteur : Rick Klau

Quand les équipes envisagent de mettre en œuvre des OKR pour la première fois, une question inévitable est : "Quel outil devrions-nous utiliser ?" Ma réponse est la même que celle que Ken Norton fournit aux personnes qui lui demandent quel outil elles devraient utiliser pour établir des feuilles de route, un wireframing, ou même des OKR :

Les gens sont souvent déçus de mes réponses, qui se résument généralement à "ce que votre équipe utilise déjà" et "Google Docs".

Lors de la mise en place initiale des OKR, il est rare qu’un outil existant soit déjà en place. Les équipes partent de zéro et visent à mettre en œuvre le cadre. Elles considèrent souvent que si en parallèle elles choisissent un outil, cela les aiderait à y arriver plus rapidement. Mais en réalité si vous cherchez à utiliser les OKR pour résoudre un problème (tel que “Comment aligner les équipes sur un ensemble commun d'objectifs ?") et que vous vous essayez également de déployer un outil, vous allez être confronté à deux problèmes en même temps : apprendre les OKR et apprendre à utiliser ce nouvel outil.

Voilà pourquoi je pense que Ken a raison.  Au début, restez simple et travaillez avec ce que vous connaissez. Si votre équipe est déjà familiarisée avec Google Docs, n’hésitez pas à utiliser le modèle donné par  Niket ici pour démarrer avec les OKR.  Les utilisateurs de Notion pourront trouver ce modèle utile.  Les utilisateurs de Coda apprendront beaucoup du kit OKR que l'équipe de Coda a elle-même partagé. (Voir en fin d’article pour une liste d’outils spécifiques aux OKR).

J'ajouterais un complément à la règle de Ken : quel que soit votre choix, assurez-vous que tout figure à un seul et même endroit.

L'une des premières entreprises que j'ai coachées pour la mise en œuvre des OKR était très enthousiaste à l'idée de partager avec moi sa première ébauche des OKR afin que je l'analyse.  Le PDG est venu à mon bureau avec six de ses collaborateurs et tout le monde s’est mis à ouvrir son ordinateur portable. (En y repensant, c'était déjà le premier signe que quelque chose ne tournait pas rond).

Le PDG a commencé par nous faire part des objectifs qu'il proposait pour l'entreprise, puis il a débranché le câble le reliant au projecteur pour le donner à son VP Produit, qui s’est mis ensuite à partager les OKR de l'équipe produit. 

Quel était le problème ?  Une fois que le PDG a eu fini de faire sa présentation, les OKR de l'équipe produit se trouvaient dans un fichier Excel, la partie marketing dans des Google Slides, la partie ingénierie résidait dans Asana.  Il y avait sept présentateurs et sept endroits différents pour accéder aux OKR.

Dans un numéro récent de Vanity Fair, Gabriel Sherman présente le profil fascinant, presque trop beau pour être vrai, du chef cuisinier mafieux David Ruggerio. L'article entier vaut la peine d'être lu (il est fort probable que cette histoire soit portée un jour sur grand écran), mais en écrivant cet article, je n'ai pas arrêté de penser à cette déclaration qui est une véritable pépite :

Mais [Le Chantilly] était toujours en faillite. Ruggerio a déclaré avoir comploté avec Moneypenny, décédée en 2007, pour truquer la vente aux enchères et acheter le restaurant pour 100 000 dollars. "Rien que la cave contenait du vin d’une valeur totale d'un demi-million de dollars", a déclaré M. Ruggerio. Le plan était simple, selon Ruggerio. Légalement, Moneypenny devait annoncer la vente aux enchères dans un journal. Il l'a donc annoncée dans le Staten Island Pennysaver, où peu d'acheteurs la verraient. Cependant, un jour avant la clôture de la vente, Ruggerio a appris qu'un type du quartier de l’habillement avait offert 150 000 $. Ruggerio dit avoir envoyé trois "amis" pour raisonner l'enchérisseur. Ruggerio a obtenu le restaurant.

Techniquement, l'annonce de la vente aux enchères de la faillite du Chantilly était publique. Mais en réalité peu de prétendants majeurs à la nouvelle cuisine parcouraient les pages du Staten Island Pennysaver à la recherche de leur prochain restaurant. C’était comme si l'avis "public" était inexistant.

Ça ressemble à mon anecdote l’entreprise.  Lorsque j'ai demandé aux dirigeants à quel endroit se trouvaient leurs OKR, ils n’ont pas hésité.  Ils m'avaient écouté lors de notre première réunion et étaient heureux de me présenter le fait que les OKR de chaque équipe étaient visibles par tous dans l'entreprise. "Comme tu l'as dit, Rick !"  Mais est-ce qu’on pouvait les trouver ?  Et les utiliser ? Pas vraiment.

Je me souviens de la première semaine où j'ai rejoint Google en 2007 : J'ai reçu mon ordinateur portable, mon badge et l'accès au réseau de l'entreprise. Je suis resté bouche bée quand j’ai réalisé à quel point j'avais accès aux rouages internes de Google. Le plus utile, et de loin, était l'accès aux OKR des trimestres précédents, pour l'ensemble de l'entreprise. Je pouvais cliquer d'une année à l'autre, d'un trimestre à l'autre, d'une équipe à l'autre, tout ça en un seul endroit. J'ai compris comment Google concevait ses objectifs, comment il découpait son travail, comment il s'évaluait en fonction des résultats (réussis ou non). J'ai vu comment Google se percevait, j'ai appris ce que signifiait fixer des objectifs chez Google et, au fil du temps, j'ai appris à ajuster mon travail en fonction du travail en cours dans le reste de l'entreprise.

Cela a été possible parce que les OKR se trouvaient à un seul endroit. Si vous obligez vos équipes à chercher l'information, même si elle est techniquement publique, vous limitez le nombre de personnes qui, dans l'entreprise, parcourront le travail en cours ou feront la navigation historique que j'ai faite quand j'ai rejoint Google. Cela va à l'encontre de l'objectif de rendre les OKR publics et signifie que vous ne pourrez pas profiter de la valeur ajoutée des OKR au fil du temps, car les OKR créent et captent la mémoire de l’institution.

Ceci n'est d'ailleurs pas une critique des outils spécifiques aux OKR. J'ai créé, il y a quelques années, une liste des outils OKR sur Product Hunt, et je l'ai complétée au fur et à mesure que j'ai appris l'existence de nouveaux outils. Un certain nombre de clients très satisfaits m'ont fait part de l'utilité de ces outils. Je ne doute donc pas qu'ils puissent apporter une valeur ajoutée - et qu'ils le fassent. Et lorsqu'ils sont bien utilisés, ils permettent également de résoudre le problème de ce post : s'assurer que les OKR de l'organisation se trouvent tous au même endroit.


Publié en français avec l’aimable autorisation de Rick Klau.
L’article original est également accessible en anglais.

Auteur : Rick Klau

Lorsque j'ai relancé mon blog, Michael a été l'un des premiers à déposer un commentaire où il me demandait :

Seriez-vous d’accord d’écrire un nouvel article sur les OKR ? J'aimerais savoir si vous avez découvert de nouvelles choses depuis la publication de l’article de Google Venture sur Medium.

L’article en question se trouve ici.  Il n'y a pas grand-chose dans cette publication, si ce n'est l'intégration de la vidéo que j'ai réalisée au début en 2012 et qui compte maintenant plus d'un million de vues sur YouTube. D’ailleurs, si vous ne savez pas ce que c’est que les OKR, ce n’est sans doute pas une mauvaise idée de commencer par cette vidéo. Notez toutefois que le but du présent article est d’apporter des corrections sur certains éléments qui peuvent être améliorés.

Il y a quelques temps, j'ai posté sur Twitter certaines choses que je ferais différemment si je devais enregistrer la vidéo aujourd'hui.  Plusieurs années se sont écoulées depuis, alors voici un correctif légitime de cette vidéo :

  1. Ce à quoi vous et votre équipe dites Non est au moins aussi important que ce à quoi vous dites Oui.
    Cela est tout au plus implicite dans la vidéo puisque j’y parle de l'importance de fixer quelques objectifs. Par extension, cela revient à dire Non aux autres. Mais plus je passe de temps avec des équipes qui mettent en œuvre leurs OKR, y compris au cours des deux derniers trimestres avec mon équipe actuelle, plus il m'est évident que l'une des plus grandes valeurs à court terme de l'engagement dans ce cadre est le degré de permission qu'à votre équipe de dire Non à beaucoup de bonnes idées.
  1. Si vous mettez en œuvre les OKR pour la première fois, ou si votre équipe est encore en train d’apprendre à travailler avec les OKR, alors laissez de côté les OKR individuels.
    Il n'y a tout simplement pas assez de différence entre ce que le groupe s'est engagé à fournir et la contribution de l'individu à cet engagement pour que les OKR individuels apportent une valeur ajoutée suffisante. Cela finit par créer de la confusion et de la frustration.  C’est OKR individuels peuvent également sembler redondants, ce qui peut conduire les gens à abandonner complètement les OKR. 

    Avant de trop vous soucier du fait d’encourager les individus à passer beaucoup de temps à réfléchir à leurs OKR individuels, donnez leur l’occasion de voir que les OKR contribuent à renforcer les équipes au sein de l'organisation, et qu’ils permettent un plus large impact lorsque les engagements de chacun ont un effet cumulatif. Et même dans ce cas, il est sans doute préférable de les rendre facultatifs.
  1. Lorsque vous identifiez les métriques de vos résultats clés, assurez-vous qu'ils permettent de quantifier l'impact et/ou les résultats, et non la progression.
    Les métriques qui décrivent seulement  le travail en cours, tels que le nombre de tâches, les lignes de code ou l'effort incrémental, mais qui sont déconnectées de l'objectif réel sont finalement inutiles, voire contre-productifs. Des mesures qui évoquent une direction ou des progrès, mais qui ne permettent pas d’aboutir aux résultats ambitieux auxquels l’équipe s'est engagée, peuvent vraiment miner la confiance de chacun. (De ce point de vue, on peut remarquer que certains des exemples d'OKR que j'ai inclus dans la vidéo ne sont pas géniaux).
  1. Les OKR ne doivent pas faire double emploi avec votre système d'évaluation des performances.
    Je l'ai signalé dans le premier article du blog consacré à la vidéo, mais il faut vraiment le crier sur tous les toits : si vous utilisez les OKR pour contrôler les performances (auxquels sont souvent associés une notion de rémunération), vous allez encourager vos équipes à mettre en sourdine leurs OKR et à se fixer des objectifs tout à fait atteignables dans le seul but d’obtenir leur prime. 

    Vous allez limiter l'ambition.  En effet, seules les personnes qui atteignent 100 % de leurs objectifs obtiendront 100 % de leur prime. Cela va totalement à l'encontre de l'idée selon laquelle les OKR (du moins tels qu'ils sont définis chez Google et tels que je les ai présentés dans cette vidéo) doivent refléter des objectifs ambitieux, des objectifs que vous n'êtes pas du tout sûr de pouvoir atteindre (cependant si vous les atteignez, ce serait formidable). 

    Bien sûr, la contribution d'une personne dans ce que réalise l'équipe, au sens de ce qui est décrit dans ses OKR, peut et doit être prise en compte dans l'évaluation globale de ses performances. En revanche, si ces contributions sont toxiques pour son environnement de travail, et si elles conduisent à dévaloriser leurs collègues, ou bien ne respectent pas les valeurs de l'organisation pour atteindre les résultats, alors votre démarche d’évaluation des performances doit pouvoir tenir compte de ces contributions néfastes à l'organisation globale, sinon vous aurez les mains liées et votre culture d’entreprise en souffrira.

Puisque j'en suis à parler des erreurs dans la vidéo, je ne peux pas terminer cet article sans mentionner le conseil donné par Felipe Castro de la retirer complètement. Felipe a déclaré que mon tweet mentionné plus haut aurait dû être un article de blog, ce qui en fait l’est ! Mieux vaut tard que jamais. 😂 Blague à part, Felipe soulève un certain nombre de questions intéressantes comme notamment le fait que l'exemple sur le football que j'ai inclus dans la vidéo est trop rigide. Pour ma défense, je montrais les diapositives originales que John Doerr avait présentées à la direction de Google en 1999 pour montrer à tout le monde la façon dont les OKR ont été introduits chez Google - mais oui, en y repensant, je n'ai pas vraiment donné du contenu qui reflétait les treize années d'évolution dans la façon dont Google a appliqué les OKR. Une occasion manquée. Heureusement, John a mis à jour son exemple du football dans son livre Measure What Matters, une des nombreuses bonnes raisons de le lire si vous ne l'avez pas déjà fait. Quoiqu’il en soit, l’analogie entre un match de football et un parcours en entreprise s'effondre assez rapidement du fait qu’il y a davantage de règles dans le premier cas que dans le second. Je vous invite à lire l'article de Felipe.

Depuis que j'ai enregistré cette vidéo, il y a près de dix ans, j'ai parlé à des centaines de dirigeants et d'équipes de direction à propos de la mise en œuvre des OKR. J'ai aidé un certain nombre de sociétés gravitant autour de Google Ventures à les mettre en place, et nous sommes en train d'adopter les OKR dans mon équipe au CDT. Dans les mois à venir, je rédigerai les réponses aux questions que je reçois le plus souvent, des exemples de ce à quoi cela ressemble lorsqu'ils fonctionnent bien, et plus encore.


Publié en français avec l’aimable autorisation de Rick Klau.
L’article original est également accessible en anglais.

Autrice : Christina Wodtke

Un jour quelqu’un (sans doute Andy Grove ou peut-être Peter Drucker) a eu une idée très simple. Il s’est demandé “et si l’on disait aux gens le résultat qu’on attendait d’eux et qu’on leur faisait confiance pour trouver comment parvenir à ce résultat ?”

Cette approche porte le nom de management par objectifs. 

L’idée était de dire aux employés par exemple, 

et de leur faire confiance pour trouver comment faire évoluer ces chiffres. 

Ensuite, quelqu'un d'autre a trouvé une bonne façon pour formater les objectifs, un peu à la manière des objectifs SMART. Il s’agit de fédérer l'entreprise autour d’un objectif visionnaire et des résultats clairs et mesurables. Avec de bons OKR, nous (les dirigeants) pouvons nous assurer que chacun comprend ce que nous attendons de lui.

Cette nouvelle méthode a nécessité un grand changement de mentalité en matière de management. Au lieu de dire aux gens ce qu'ils doivent faire, on doit trouver comment leur dire ce qu’on veut voir se réaliser à l'avenir. 

Cela s'est avéré incroyablement efficace car, tout à coup, lorsque vous embauchez des personnes très intelligentes qui détestent le micro-management, vous pouvez tirer parti de leur intelligence et les orienter dans une direction commune. C'est d’ailleurs l'une des principales raisons pour lesquelles Google a adopté les OKR. 

L'entreprise est connue pour ses recrutements intensifs. D’une certaine façon, gérer des ingénieurs, c'est comme garder des chats. Au lieu de rassembler les chats vous-même, mettez leur nourriture dehors, ce qui correspond dans cet exemple à donner à des ingénieurs intelligents des objectifs ambitieux et stimulants, puis à observer ce qui se passe ensuite ! 

Les OKR sont également géniaux parce que tout le monde a besoin de dormir, même les PDG. Donc, si vous essayez de dire à chacune des personnes ce qu'il faut faire, et que votre entreprise dépasse une certaine taille, vous courrez à l’échec et vous allez probablement faire une dépression nerveuse en cours de route.

Ce système très simple des OKR a été repris par des consultants qui voulaient facilement satisfaire leurs clients. Ainsi, lorsqu'un client proposait comme résultats clés la réalisation d'un projet, les consultants se sont contentés de sourire et d'acquiescer parce qu'ils souhaitaient qu’on les engage à nouveau. 

Un certain nombre de personnes voulaient créer des logiciels, mais il est très difficile de créer des logiciels axés sur les résultats (conseil de pro, faites-en un tableau de bord !). Certains ont donc créé des logiciels de gestion de projet qui suivaient ce que les gens faisaient plutôt que les résultats qu'ils visaient.

Cela signifie que les fabricants de logiciels et les consultants se sont mis à édulcorer l’approche OKR. Pour se faire de l’argent, ces consultants et autres fabricants de logiciels ont écrit des articles et des livres qui surtout n’offensent personne. 

Ils ont publié de mauvais exemples d’OKR tel que :

Pourquoi cet exemple est-il si mauvais ? Parce que vous pouvez réaliser toutes ces activités et ne jamais atteindre le véritable objectif : avoir une équipe de vainqueurs

De plus, dans quelle mesure n’est-ce pas du micro-management ? 

Assister à 25 matchs ? Pourquoi pas 20 ? Pourquoi pas 50 ? Si vous assistez à 25 matchs mais que vous ne trouvez personne avec un bon niveau, vous arrêtez ? 

Et si au lieu de ça vous aviez :

Ou bien vous pouvez réfléchir encore plus loin et avoir par exemple

Je ne m’y connais pas en sport, mais je suis prête à affirmer avec audace que la plupart des propriétaires d'équipes de sport veulent que leurs joueurs gagnent des matchs, ou du moins que leurs équipes soient suffisamment intéressantes pour vendre des billets. 

Une fois que vous avez creusé et trouvé le véritable objectif, vous pouvez faire de meilleurs choix quant aux objectifs que vous communiquez à vos collaborateurs.

Quoi qu'il en soit, quelques années après que des consultants et des sociétés de logiciels OKR aient proposé de mauvais exemples, les entreprises ont soudainement essayé d'utiliser les OKR pour faire des choses complètement folles comme gérer toutes les activités de l'entreprise ! Elles essayaient d'utiliser les OKR pour la gestion de la performance et pour la gestion de projet et tout un tas de choses pour lesquelles les OKR n'ont jamais été conçus.

Ed Batista écrit : "Les objectifs sont des médicaments sur ordonnance, pas des aliments”. 

Alina Tugend, du New York Times, a récemment demandé à un certain nombre de chercheurs de réfléchir aux avantages et aux inconvénients des objectifs. L'une des sources de Tugend, Lisa Ordóñez, professeur à l'université de l'Arizona, a coécrit un article qui souligne la puissance et l'influence des objectifs ainsi que leurs effets secondaires indésirables :

Les effets bénéfiques de la fixation d'objectifs ont été exagérés et... les dommages systématiques causés par le fait de déterminer des objectifs ont été largement ignorés. Nous identifions des effets secondaires particuliers associés à la fixation d'objectifs, notamment... une évaluation erronée des risques, une augmentation des comportements non éthiques, une inhibition de l'apprentissage, une érosion de la culture de l’organisation et une réduction de la motivation intrinsèque. Plutôt que de considérer la fixation d'objectifs comme un traitement bénin en vente libre pour accroître la motivation, les managers et les chercheurs doivent considérer la fixation d'objectifs comme un médicament sur ordonnance qui nécessite un dosage prudent, et prendre également en compte les effets secondaires nocifs, tout cela sous une surveillance étroite. 

Ainsi, lorsque les gens ont essayé d’utiliser les OKR pour apporter à leur entreprise les grands changements dont elle avait besoin, et qu'on leur a dit de mettre des OKR partout, ces personnes ont été frustrées et déçues de leur expérience. Pire encore, les gens ont travaillé très dur pour essayer d'adapter une méthodologie à une fonction pour laquelle elle n'a jamais été conçue, si bien qu'ils n'avaient plus le temps de se concentrer sur les chiffres qui leur indiquaient si leur entreprise était performante ou non. Le processus était devenu plus important que les résultats. 

Si ces personnes à qui l'on vendait de la poudre de perlimpinpin à l’OKR étaient intelligentes, elles se seraient posées des questions importantes telles que : est-ce vraiment différent du suivi des actions dans Trello ? N'avons-nous pas des chefs de projet pour s’occuper de ça ? Peut-être devrions-nous simplement donner une formation en management à nos managers pour qu'ils sachent comment faire des évaluations de performance ?

Et si elles étaient vraiment très intelligentes, elles se seraient demandées "pourquoi les OKR sont si importants" et “qu’est-ce qui fait leur succès”. Et cela les aurait ramenés à l'idée d’origine. 

Retour à l'essentiel

C’est quoi les OKR ? 

Il s'agit d'une méthode de fixation d'objectifs axée sur les résultats, qui donne aux équipes les moyens de déterminer comment assurer la réussite de l'entreprise. 

Le reste n’a rien à voir avec des OKR. Tout le reste n'est qu’un élixir de management de projet dans des bouteilles étiquetées OKR. C'est du théâtre d’OKR. 

Je vais être tout à fait honnête. Si on arrêtait de m’embaucher pour travailler sur les OKR, cela me conviendrait parfaitement. Il y a beaucoup d’autres choses qui m'intéressent dans la vie, comme notamment la création d'équipes autonomes et la façon d'enseigner la conception de jeux. 

J'ai écrit Radical Focus parce que je pensais que les OKR étaient plutôt intéressants. Bien sûr, j'adorerais que vous achetiez mon livre, mais je vais vous dire un secret : la quasi-totalité de mon livre se trouve sur mon blog. 

Les OKR ont transformé ma vie. Et ils ont transformé les entreprises avec lesquelles j'ai travaillé. 

Il est très difficile de rester concentré sur les résultats que vous souhaitez atteindre lorsque tout le monde vous demande si vous avez progressé sur les projets dans lesquels vous vous êtes engagé. Mais si vous vous concentrez toujours sur les résultats, vous êtes libre de changer de plan d’action dès que vous avez en possession de nouvelles informations. 

Si vous vous engagez sur un projet, vous êtes coincé dans ce projet. Mais si vous vous engagez sur un résultat, vous avez la possibilité de vous adapter en fonction des nouvelles informations que vous récoltez. 

Nous vivons dans un monde incroyablement compliqué dans lequel nous recevons constamment de nouvelles informations. La liberté de rester agile et de se concentrer sur le résultat peut faire la différence entre le succès et l'échec. 

Les OKR font partie d'une philosophie de management plus large qui inclut des éléments comme l’Agile et le Lean. 

Les OKR existent afin de préserver des initiatives stratégiques hautement importantes qui pourraient être malmenées par les activités quotidiennes de la vie. Ce qui signifie que nous devons reconnaître qu'il existe une activité quotidienne dans la vie. 

Il y a la mise à jour des indicateurs.  Il y a tout ce qui relève de la maintenance. Il y a l'image de marque, le marketing et les ventes, et tout cela compte. Chaque entreprise réalise tellement de choses.  De plus, des entreprises différentes ont besoin d’approches différentes. 

Les OKR viennent s'ajouter à toutes les autres activités de l'entreprise, dans le but de conserver les efforts stratégiques essentiels au premier plan. Or, TOUT NE NÉCESSITE PAS DES OKR, NI TOUT LE MONDE .

Je me demande pourquoi les OKR ont dévié vers la gestion de projet. Peut-être est-ce parce que beaucoup de gens sont orientés vers les solutions, et qu'il est difficile de se concentrer sur les résultats sans tomber amoureux de la solution. 

Je me demande si les OKR ne deviennent pas une gestion des tâches parce que certaines personnes pensent que gérer signifie dire aux gens ce qu'ils doivent faire.

C'est peut-être parce que certaines personnes ont peur que le fait de lâcher prise signifie que le travail sera mal fait. Ou peut-être qu'ils ont peur que ce soit bien fait. 

Peut-être que c'est parce que certains managers/PDG sont des maniaques du contrôle. Peut-être que certaines personnes pensent qu'elles sont les seules à savoir ce qu'il faut faire ? 

Mais si vous dites aux gens ce qu'il faut faire sans leur dire quels sont les résultats que vous voulez obtenir, les gens le font souvent mal parce qu'ils ne comprennent pas ce qu'ils font.

Et le patron en conclut alors qu'il doit exercer davantage de surveillance alors que c'est le contraire qui devrait se produire. 

Embauchez bien et lâchez prise. 


Publié en français avec l’aimable autorisation de Christina Wodtke.
L’article original est également accessible en anglais.

Auteur : Jonathan Smart

Cet article est adapté du chapitre 1 de Sooner Safer Happier de Jonathan Smart, avec Zsolt Berend, Myles Ogilvie et Simon Rohrer.


Souhaitez-vous ou êtes-vous actuellement en train de réaliser une transformation Agile, Lean ou DevOps ? Si oui, voici mon meilleur conseil :

Ne le faites pas.

Au lieu de cela, concentrez-vous sur les résultats que vous voulez atteindre. Alors, vous parviendrez à l'agilité.

Concentrez-vous sur une Meilleure Valeur plus Rapidement avec davantage de Sécurité et de Satisfaction.

Après presque trente ans de pratique de l’agilité et du lean, c’est la plus grande leçon que j’ai apprise à l’ère du numérique pour créer de la valeur à partir du logiciel. Cela permet aussi de passer des façons de travailler habituelles dans les grandes organisations internationales plutôt anciennes et réglementées à de la collaboration entre plusieurs grandes entreprises de différents secteurs industriels. Aussi bien au niveau des groupes d’équipes qu’en tant que manager au service des autres, nous avons expérimenté, appris, et évolué.

L’Agile, le Lean et le DevOps ne sont pas un objectif en soi. Une organisation peut obtenir un score élevé à la question “À quel point sommes-nous agiles ?” (voire pire, à la question “À quel point nous conformons-nous strictement à un cadre de travail agile spécifique ?”, ou à la question “Combien d’équipes Scrum avons-nous ?”) sans pour autant aboutir à de meilleurs produits. J'ai vu cela se produire à de multiples reprises. La réalisation d’un mauvais produit prend généralement moins de temps. Les équipes peuvent devenir de simples usines à produire des fonctionnalités.  Sans surprises elles remplissent leur liste d’actions en se focalisant sur “le plus grand nombre de livrables !” plutôt que sur de meilleurs résultats. En outre, l'agilité peut être considérée comme un phénomène exclusivement informatique, rien de plus qu'une optimisation locale, une bulle agile dans un océan d'approches traditionnelles. Ou encore, les équipes peuvent adopter une pratique voisine de ce qu’on appelle le “culte du cargo”, c’est-à-dire en renommant les choses et en introduisant de nouveaux rituels, mais sans pour autant changer leurs anciens  comportements.

L’Agile, le Lean, le DevOps, le Design Thinking, l’approche systémique, la théorie des contraintes, etc., sont tous des outils bien connus parmi une panoplie utilisée par les organisations pour parvenir aux résultats qu’elles recherchent. Il s’agit d’une accumulation de connaissances, d’années de savoir acquis sur l’activité humaine, qui sont organisés selon des principes et des pratiques. Comme nous avons pu nous en rendre compte, ils sont adaptés à des contextes spécifiques, qui constituent la nouvelle normalité à l’ère du numérique.  En effet, les anciennes entreprises vénérables (les “chevaux” d’une époque passée, comparés aux “licornes” du numérique) abandonnent les méthodes de travail vieilles de plus de cent ans et issues de deux révolutions technologiques apparues à la fin des années 1800.

Chaque organisation est unique et constitue un système adaptatif complexe. Le changement culturel est émergent. Ainsi, les interventions choisies doivent être appliquées uniquement selon le contexte. Il n'existe pas d’approche unique et universelle. Il n'y a pas de remède miracle, de solution magique ou de panacée. Pour savoir si l’ensemble des connaissances, des principes ou des pratiques que vous utilisez vont produire l’effet escompté, vous devez être au clair sur les résultats que vous attendez et les garder en tête. En vue de quelle action mobilisez-vous toute cette connaissance ? À quel résultat voulez-vous arriver ?

Dans toutes les organisations pour ou avec lesquelles j'ai travaillé, ce résultat attendu peut être formulé ainsi : une Meilleure Valeur plus Rapidement avec davantage de Sécurité et de Satisfaction (MVRSS)

Que veut dire une Meilleure Valeur plus Rapidement avec davantage de Sécurité et de Satisfaction ?

Alors, c’est quoi une Meilleure Valeur plus Rapidement avec davantage de Sécurité et de Satisfaction ? Que représentent ces termes et comment sont-ils mesurés ? Il est important de noter qu'il ne s'agit pas uniquement de résultats et de mesures propres aux technologies de l’information. Ces mots s'appliquent à toutes les organisations, partout où l'on travaille pour générer de la valeur. Ils renvoient à une conception collective de “notre entreprise", quel que soit le poste occupé. À l'ère du numérique, chaque entreprise est directement ou indirectement une entreprise informatique, et il est rare que la création de valeur n'implique pas d'une manière ou d'une autre les technologies de l'information.

Meilleure

Meilleur renvoie à la qualité. Par exemple, pour un produit logiciel, "meilleur" peut signifier moins d'incidents de production, un temps moyen de remise en route plus rapide et des mesures d'analyse statique du code améliorées. Pour un audit interne, “meilleur” pourrait signifier moins de révision des rapports internes. Pour le secteur opérationnel d'une organisation, tel que la gestion de la paie, des transactions ou des demandes de prêt, "meilleur" pourrait être un taux d'erreur plus faible. Plus le nombre d'erreurs est faible, plus le coût du maintien du fonctionnement de l’entreprise est bas et plus le pourcentage du budget qui peut être consacré à de nouvelles activités à valeur ajoutée est élevé. La qualité doit être intégrée dès le début, plutôt que vérifiée ultérieurement. 

Valeur

La valeur se voit dans l'œil de celui qui la regarde. Elle est unique et s'articule autour de résultats commerciaux trimestriels (également appelés Objectifs et Résultats Clés ou OKR). C'est la raison pour laquelle vous avez créé votre business. La "valeur" peut être la part de marché, le revenu, les unités vendues, les pertes et profits, la marge, la diversité, les émissions de carbone, les téléchargements d'applications, les minutes de streaming, les abonnés etc. La valeur doit couvrir le point de vue du consommateur et celui du producteur.

Les résultats au plan commercial sont hypothétiques, car nous sommes dans le domaine de l'émergence. Ils se combinent les uns aux autres, jusqu’à remonter aux hypothétiques résultats stratégiques à long terme (annuel ou pluriannuel) de toute l'organisation. Il y a un retour d'information rapide avec des livraisons quotidiennes de valeur pour les clients ce qui permet de tester ces hypothèses. Les mesures de valeur sont les Résultats Clés des OKR sous formes d’indicateurs qui démontrent ou qui prédisent une amélioration de la valeur. Les cadences quotidienne, hebdomadaire et mensuelle s’imbriquent les unes dans les autres et permettent de changer de perspective grâce à un apprentissage fréquent. En général, la cadence mensuelle est utilisée pour l’inspection et l’adaptation des résultats commerciaux trimestriels. Lorsqu’on publie quotidiennement une nouvelle version d’un produit, il est possible d'avoir un retour quotidien sur des hypothèses stratégiques pluriannuelles. Voir le chapitre 5 du livre pour plus d'informations à ce sujet.

Rapidement

“Plus Rapidement”, fait référence au flux, qui est au cœur de l'Agile et du Lean. Il s'agit d'optimiser afin d’obtenir un flux rapide et performant avec une valeur sûre tout ça dans le respect des personnes. Il existe trois mesures clés qui peuvent être agrégées au niveau de la direction de l’entreprise ou  bien distribuées dans les équipes :

Notez qu’on ne fait pas ici appel à l’expression "plus vite". “Vite” peut avoir une connotation négative. Une "usine qui ajoute des fonctionnalités" peut travailler vite mais produire des fonctionnalités que personne ne veut ; on travaille dur mais pas intelligemment.

Sécurité

Davantage de Sécurité veut dire une conformité en continu, agile et non fragile ; ce sujet est abordé au chapitre 6 du livre. C’est par exemple ne pas faire la une des journaux en raison d'une perte de données clients. “Davantage de sécurité” fait référence à la sécurité de l'information, la cybernétique, la confidentialité des données, le règlement général sur la protection des données, la connaissance du client, la lutte contre le blanchiment d'argent, la fraude etc. C'est la Gouvernance, le Risque et la Conformité (GRC). “Davantage de sécurité” touche à la fois à la vitesse et au contrôle, sans choisir l'un au détriment de l'autre. “Davantage de sécurité” recouvre un aspect culturel qui interroge en permanence la notion de risque.

Satisfaction

“Davantage de Satisfaction” renvoie aux collègues, aux clients, aux citoyens et à un environnement plus satisfaisant. Améliorer les méthodes de travail ne se fait pas à n’importe quel prix, que ce soit au plan de l’humain, de la société ou de l’environnement. Il s'agit d'une approche du travail à la fois plus humaine et plus engageante, avec des équipes multidisciplinaires et autonomes centrées sur le client. “Davantage de satisfaction” signifie travailler de manière plus intelligente et non plus dure. Cela conduit à améliorer la façon de travailler et à supprimer les obstacles. “Davantage de satisfaction” c'est l'obsession d’avoir un client satisfait (qui génère des revenus, au lieu de se concentrer sur des mesures financières à court terme). “Davantage de satisfaction” concerne aussi la responsabilité sociétale et environnementale.

MVRSS

Ensemble, les objectifs d’une Meilleure Valeur, plus Rapidement, avec davantage de Sécurité et de Satisfaction s'équilibrent. Si l'objectif d’être “plus Rapide” est atteint au prix de faire travailler les gens davantage ou en réduisant les coûts, il en résulte une baisse pour les objectifs "Meilleur" et "davantage de Satisfaction".

La MVRSS contient deux séries de résultats. “Meilleur”, “plus Rapidement”, “davantage de Sécurité” et “davantage de Satisfaction” sont le comment arriver au résultat. Ils mesurent l'amélioration de votre façon de travailler. La Valeur est le quoi, les résultats commerciaux prévus induits par la façon de travailler et dont on parle au chapitre 5 du livre. Ces deux ensembles de résultats forment un cercle vertueux. L'amélioration du "comment" entraîne une amélioration du "quoi" grâce à un retour d'information plus rapide, à la capacité de changer de perspective, à une meilleure qualité et à des collègues et des clients plus engagés.

Notez que, tout comme je n’utilise pas l’expression "plus vite", je ne fais jamais appel à l’expression "moins cher". Une leçon que j’ai apprise des organisations qui adoptent les principes et les pratiques du Lean au Japon est que le "moins cher" est un anti-modèle. Il crée un vent contraire. Les gens ne veulent pas être au chômage ou mettre un collègue au chômage. Ce n'est pas un appel à l'action motivant. “Moins cher” porte une connotation négative en ce qui concerne la qualité et le bonheur.

De plus, le fait de se concentrer sur la réduction des coûts visibles augmente souvent les coûts cachés en réduisant l'efficacité des flux. La réduction des coûts a un coût caché. Par exemple, la multiplication des transferts, des voies de communication, des problèmes de fuseaux horaires, des incitations différentes, etc. réduit l'efficacité du flux. Cela augmente le temps d'attente du travail. Cela réduit le débit et allonge les délais. La façon de travailler devient moins efficace. L'apprentissage et le changement de perspective prennent davantage de temps. L'entreprise dépense moins, mais elle livre aussi moins et rend la façon de travailler moins efficace. C'est une double malédiction qui affecte la capacité à générer de la valeur. L'organisation a ralenti, à la fois en réduisant la production de valeur et en réduisant le gradient de valeur ajoutée au fil du temps, en raison de l'efficacité réduite des flux. Cela réduit les revenus, ce qui pose de nouveaux défis en matière de coûts.

L'amélioration des méthodes de travail pour le développement de produits est une question de "valeur-tivité". Nous voulons optimiser la valeur et le temps d'apprentissage. Les résultats plutôt que la production. Nous voulons maximiser les résultats dans le temps le plus court sans pour autant avoir une production plus grande. Nous voulons maximiser la courbe de valeur rapidement et être capable de changer notre fusil d'épaule le plus vite possible toujours à la poursuite de ce qui apporte le plus de valeur. En général, la recherche du "moins cher" a l'effet inverse, car elle allonge le temps nécessaire à la création de valeur et à l'apprentissage.

Au lieu d'opter pour le bon marché ou la réduction des coûts, concentrez-vous sur comment livrer des résultats d’une Meilleure Valeur plus Rapidement avec davantage de Sécurité et de Satisfaction, et améliorez votre façon de travailler. À mesure que le délai d'exécution diminue et que le débit augmente, si vous vous efforcez de parvenir à la valeur la plus élevée dans un délai le plus court possible, avec la plus grande agilité, vous devriez voir la partie “revenu” de votre ratio coûts/revenus s'améliorer, toutes choses étant égales par ailleurs en comparaison avec le fait de maintenir le statu quo.

Si en premier lieu une organisation n'a pas la possibilité de s'améliorer, ou si des facteurs macroéconomiques (une pandémie, par exemple) modifient les fondamentaux de l'entreprise et imposent de dépenser moins et de faire moins, mon conseil est de prêter une attention toute particulière à votre façon de travailler. N'augmentez pas les coûts cachés en réduisant l'efficacité des flux et en allongeant le délai de création de valeur et d'apprentissage. Ne donnez pas la priorité à la réduction des coûts au détriment du flux. Le résultat en sera une augmentation des coûts cachés. Mettez l'accent sur la comptabilité des flux ainsi que sur la comptabilité analytique traditionnelle.

Maintenant que vous avez une compréhension plus profonde de ce qu’est une Meilleure Valeur plus Rapidement avec davantage de Sécurité et de Satisfaction, et que vous êtes prêt à vous concentrer sur les résultats plutôt que sur l’Agile, nous pouvons examiner deux des anti-modèles les plus significatifs, les plus fondamentaux. Ils sont source de freins importants. Ils sont préjudiciables, car ils n'appliquent pas un état d'esprit agile à l'agilité. Ces anti-modèles (comme tous les anti-modèles) sont des approches qui, le plus souvent, réduisent vos chances d'atteindre les résultats souhaités. Ils rendent un travail difficile encore plus difficile.


Publié en français avec l’aimable autorisation de Jonathan Smart
L'article original est également accessible en anglais.

Auteur : Ben Lamorte

À partir d’une étude chiffrée réalisée chez Sears

De plus en plus de personnes adoptent les OKR (objectifs et les résultats clés) dans les organisations. Cependant, il n’existe pas encore de travaux de recherche montrant que l'utilisation des OKR a un impact sur les résultats financiers. Quel est vraiment le retour sur investissement des OKR ? 

Les auteurs de cette recherche

Chris Mason a obtenu son doctorat en psychologie industrielle et organisationnelle à l'université DePaul. Il est directeur principal des solutions stratégiques en matière de talents chez Sears Holding Company (SHC). 

À l'automne 2013, Chris Mason et son équipe ont mené l'un des plus grands déploiements d'OKR connus à ce jour. Sears a déployé les OKR à l'ensemble de sa population salariée, environ 20 000 collaborateurs. 

Cette recherche, basée sur l'utilisation des OKR sur une période de 18 mois chez Sears, démontre que les OKR peuvent avoir un impact majeur. 

Joe Kutter est le chercheur principal qui a analysé les données. Même une utilisation minimale des OKR conduit à des niveaux de performance plus élevés. Plus précisément, nous avons constaté dans un centre d'appels une augmentation de 8,5 % du volume de ventes par tranche horaire. L'utilisation systématique des OKR augmente de 11,5% la probabilité de passer à un niveau de performance supérieur pour l'ensemble des collaborateurs de l’entreprise. Il s'agit vraisemblablement des premières expériences concluant à un impact de l'utilisation des OKR. Cet impact concerne aussi bien les performances individuelles que les résultats de l'organisation. 

À cette occasion, j’ai parlé avec Chris Mason et son équipe. Il m'a raconté ce qui leur était arrivé, ce qui a conforté mon choix de profession en tant que coach OKR. Il s'agit sans doute de la première démonstration que les OKR ont un impact sur les résultats financiers d’une entreprise ! 

De quelle manière les OKR ont-ils augmenté le chiffre d'affaires de 8,5% ? 

Voici un résumé de notre discussion. 

Lamorte : Je n'ai pas encore trouvé d’étude formelle traitant de comment les OKR améliorent les résultats d'une organisation. Avez-vous déjà vu une étude sur ce sujet ? 

Mason : À ma connaissance, il n'existe aucune recherche qui démontre dans quelle mesure l'utilisation des OKR améliore réellement le chiffre d'affaires d'une entreprise. Evidemment, durant des décennies, la recherche en sciences comportementales, comme les travaux de Locke et Latham qui ont développé la théorie de la définition des objectifs (Goal Setting Theory), suggère que fixer des objectifs à plus court terme, donner plus d'autonomie aux gens pour qu'ils s'engagent à atteindre les objectifs, et que ceux-ci soient ambitieux, conduit à de meilleurs résultats. Si l’on se base sur cette recherche générale, nous pourrions supposer que les OKR sont efficaces. Cependant, je n'ai vu aucune recherche qui prouve que les OKR sont efficaces en tant que méthodologie spécifique. 

Lamorte : Étant donné que vous n'aviez connaissance d'aucune analyse formelle prouvant l'efficacité des OKR, pourquoi avez-vous déployé les OKR ? Et pourquoi avez-vous pris la peine de développer un outil logiciel interne à l’entreprise pour surveiller et suivre vos OKR ? 

Mason : En fait, nous avons été encouragés à déployer les OKR suite à la vidéo de Google Ventures en 2013. Notre PDG, Eddie Lampert, a partagé cette vidéo avec le comité de direction de Sears. Cette vidéo ainsi que le leadership avéré de notre PDG sont à l’origine des OKR chez Sears. Plus récemment, des membres de notre direction RH ont parlé de leur approche avec Google. Bien que je n'aie pas tous les détails, je crois savoir qu'ils n'ont pas mené de recherche formelle sur l'efficacité des OKR. Le livre How Google Works encourage le déploiement des OKR ; une invitation qui présente simplement les OKR comme une méthode logique qui correspond à leur culture.  

Lamorte : Pouvez-vous décrire le procédé que vous avez mis en place pour les recherches sur l'efficacité des OKR ? 

Mason : Après avoir utilisé les OKR pendant plus d'un an, nous avons commencé à analyser les données. Les résultats préliminaires indiquaient que l'utilisation des OKR avait effectivement un impact positif. Nous avons mené deux études jusqu'à présent. La première a eu lieu fortuitement, ce qui en constitué un excellent modèle expérimental, comprenant des mesures avant et après l’étude sur un groupe témoin. 

Nos centres d'appels sortants sont structurés en équipes de téléconseillers répartis sur différents sites. Ils se concentrent sur les ventes additionnelles, mesurées à partir de critères tels que le nombre d'appels par heure et le total des ventes par heure. Les OKR ont été officiellement déployés auprès des collaborateurs salariés de ces centres, sauf pour les téléconseillers (bien que tous aient eu accès au système qui héberge les OKR). 

Pour des raisons qui ne sont pas tout à fait claires, seule une partie des téléconseillers a choisi de participer. Il est très intéressant de constater que les agents qui ont fait le choix de participer étaient répartis sur plusieurs sites. Ils ont commencé à utiliser les OKR à partir de différents mois, ce qui permet de contrôler les effets de la localisation ou de la saisonnalité sur nos données. Nous avons commencé à utiliser les OKR en 2013. Au cours de l'année et demie qui a suivi, les salariés ont adopté les OKR au fur et à mesure. 

Lamorte : Comment avez-vous comparé, dans la durée, les performances de chaque groupe d'agents commerciaux ? 

Mason : Nous sommes remontés à la première fois où ils ont commencé à utiliser les OKR. Nous avons ensuite comparé leur performance de vente du mois précédent celui où ils ont utilisé les OKR avec celle du mois où ils ont commencé à utiliser les OKR et également avec le premier mois qui a suivi la première utilisation des OKR. 

Lamorte : Pouvez-vous me résumer les résultats ?

Mason : Oui. Pour le groupe qui a utilisé les OKR, nous avons constaté une augmentation de leurs ventes moyennes par heure, qui sont passées de 14,44$ à 15,67$. Cela se traduit par une augmentation moyenne de 8,5%. 

Cette augmentation est non seulement significative sur le plan statistique, mais aussi sur le plan pratique. Nous avons par ailleurs constaté une augmentation similaire pour le nombre d'appels passés par heure, ce qui contribue à expliquer l'augmentation des revenus. 

Plus important encore, le groupe de référence qui n'a pas utilisé les OKR a réalisé à peu près le même nombre de ventes chaque mois. En d'autres termes, le groupe qui n'a pas utilisé les OKR, n’a pas enregistré d'augmentation. 

Lamorte : Le résultat de 8,5% tient-il compte de la possibilité que les agents qui ont décidé d'utiliser les OKR soient probablement les plus performants ? 

Mason : Oui, en fait, nous avons contrôlé cet aspect. 

Il s’avère que les agents qui ont choisi de participer ne se sont pas améliorés simplement parce qu'ils étaient très performants. Les agents se sont améliorés par rapport à leurs propres performances. Peu importe qui ils sont et la date à laquelle ils ont commencé. Tous les agents qui ont utilisé les OKR ont enregistré une augmentation moyenne de 8,5% de leur propre performance de vente, par rapport à leur taux habituel avant de commencer à utiliser les OKR.

Comment l'utilisation cohérente des OKR a favorisé la performance 

Lamorte : Cela pourrait avoir des implications majeures sur le fait d’arriver à plus de ventes à partir de centres d'appels. Cependant, ce n'est qu'un parmi de nombreux groupes d'employés qui utilisent les OKR. Avez-vous des données qui indiquent que les OKR peuvent aider les collaborateurs qui ne sont pas dans des rôles de vente à être plus efficaces ?

Mason : Oui, nous avons ensuite examiné la population de l’entreprise au sens large. La taille de l'échantillon est d'environ 12 000 collaborateurs dans des dizaines de secteurs d’activités. Cette étude est particulièrement intéressante parce que nous avons également été en mesure d’étudier une période plus longue. Nous avons pu voir à quelle fréquence les gens ont utilisé les OKR entre la fin de l'été 2013 et l'été 2014. 

Lamorte : Étant donné que votre vision va au-delà de l’équipe de vente, vous ne pouvez pas simplement prendre en compte le chiffre d'affaires généré par vendeur comme résultat à comparer. Quelle variable avez-vous utilisée pour mesurer l'impact général des OKR sur l'efficacité ?

Mason : Nous avons utilisé comme variable le niveau de performance général. Nous utilisons un outil classique à 9 cases pour classer cette population sur une base annuelle à partir de deux dimensions : la performance et le potentiel. 

Pour cette étude, nous n'avons examiné que la performance. Nous avons classé la population dans les catégories suivantes : haute performance (les 20% au sommet de l'échelle), performance moyenne (les 70-75% au milieu de l’échelle) ou performance faible (les 5-10% du bas de l'échelle); et cela à l'été 2013, puis un an plus tard, à l'été 2014. 

Il est difficile de passer d'une performance moyenne à une performance élevée. Mais si vous y parvenez, vous êtes davantage susceptibles de bénéficier d'une compensation positive, tels qu’un bonus ou une promotion. 

Nous avons ensuite classé les collaborateurs en trois groupes, en fonction de leur utilisation des OKR : 

  1. Utilisation constante : il a suivi au moins un OKR de manière systématique au cours des quatre trimestres de l'année, 
  2. Utilisation irrégulière : il a utilisé les OKR au moins une fois dans l'année, mais n'a pas réussi à s’en servir chaque trimestre, et 
  3. Aucune utilisation des OKR au cours de l'année.

Lamorte : Alors, l'utilisation des OKR a-t-elle eu un impact sur la probabilité pour un collaborateur donné d'être classé à un niveau de performance supérieur ? 

Mason : Oui, et les résultats sont très intéressants. 

Le fait d'utiliser les OKR une seule fois a augmenté de 3% la probabilité de passer à un niveau de performance supérieur. Dans ce groupe, nous n'avons même pas tenu compte de la qualité des OKR et malgré tout, nous avons constaté un impact statistiquement significatif, bien que faible.

Lamorte : D’accord, alors quelle est la conclusion finale ? Pouvons-nous maintenant dire que cette recherche confirme l'efficacité des OKR ? 

Mason : Nous ne disons pas que nous avons la preuve définitive prouvant que les OKR fonctionnent pour tout le monde. Cependant, cette seconde étude peut avoir des implications importantes. 

Ce résultat  pourrait à peu près se traduire par : 

"Si vous connaissiez l'existence d’un outil dont l'utilisation ne requiert que quelques heures annuellement et qui vous permet d’augmenter de 11,5% votre capacité d’atteindre une performance élevée, ne souhaiteriez-vous pas a minima l’essayer ?”

Conclusion - Le retour sur investissement des OKR

Sears Holding Company a mené des recherches sur l'utilisation des OKR auprès de 20 000 collaborateurs au cours d’une période de 18 mois. L’entreprise a constaté que même une utilisation minimale des OKR entraînait des niveaux de performance plus élevés. Les résultats montrent une augmentation de 8,5% des ventes horaires dans un centre d'appels et jusqu'à 11,5% d'augmentation de la capacité à atteindre des performances élevées pour l'ensemble des employés de l'entreprise. 

Il s'agit vraisemblablement des premières expériences qui concluent que l'utilisation des OKR a un impact. Cet impact semble se situer au niveau des performances individuelles ainsi qu'au niveau des résultats de l’entreprise dans son ensemble. 

PS : Si vous avez connaissance d’autres recherches sur l'efficacité des OKR ou de toute autre approche spécifique liée à la gestion des objectifs d’entreprise, n’hésitez pas à contacter In Excelsis.  Nous nous ferons un plaisir de publier vos résultats.


Publié en français avec l’aimable autorisation de Ben Lamorte.
L’article original est également accessible en anglais.

Auteur : Sam Prince

(Infographie téléchargeable)

Les Objectifs et Résultats Clés (OKR) et les tableaux de bord prospectifs (Balanced Scorecards, BSC) sont des modèles de gestion de performances qui permettent de définir et suivre des objectifs. Les BSC sont arrivés sur la scène des structures de gestion stratégique au début des années 90, quelques décennies après qu'Andy Grove ait cofondé Intel et lancé le système moderne des OKR. John Doerr, le protégé de Grove, a ensuite adopté, diffusé et popularisé le système des OKR dans toute la Silicon Valley et au-delà avec son livre "Mesurer ce qui Compte".

Les OKR tout comme les BSC sont des systèmes de conduite du changement. Ils cherchent tous deux à communiquer de manière transparente ce qu'une équipe ou une organisation tente d'atteindre, à aligner le travail des départements et des services sur la stratégie et à mesurer tous les progrès stratégiques vers des résultats souhaités préétablis.

Pour ce faire, l’un et l’autre s’appuient sur la motivation des personnes comme moyen de réussite pour l'organisation.

Même s'il existe de nombreuses similitudes entre les OKR et les BSC dans leur finalité, il y a aussi de grandes différences dans leur approche de la stratégie et leurs techniques globales pour atteindre l'objectif.

Dans cet article, nous expliquerons quelles sont ces différences en traitant des questions suivantes

  1. Principale différence entre les OKR et les BCS
  2. Exemples de BSC et d’OKR
  3. Fréquence à laquelle fixer les BSC
  4. Fréquence à laquelle réviser les BSC
  5. Liens entre rémunération et primes dans les BSC 
  6. Utilisation conjointe des BSC et des OKR
  7. Entreprises où les BSC sont pratiqués

Principale différence entre les OKR et les BSC

La première grande différence entre les OKR et les BSC est que les BSC s'appuient sur une carte stratégique holistique recensant des "paramètres de base" ; cela signifie qu'il existe une structure définie qui précise la manière dont les objectifs sont censés être élaborés selon quatre axes distincts liés à la performance : les Finances, le Client, les Processus internes, et enfin l’Apprentissage et la croissance.

Pour les BSC, l'aspect financier est le plus important ; il est utilisé afin d’élaborer des paramètres de mesure permettant de répondre aux questions suivantes :

  1. Objectifs financiers : "Quels sont les objectifs financiers qui auront un impact sur l’organisation ?" 
  2. Objectifs clients : "Quels sont les éléments importants pour les clients qui, à leur tour, auront un impact sur la situation financière ?" 
  3. Objectifs des processus internes : "Que devons-nous faire de bien en interne, afin d'atteindre les objectifs des clients, et qui aura un impact sur la situation financière ?" 
  4. Apprentissage et croissances : "Quelles compétences, capacités et culture devrait avoir l’organisation pour exécuter les processus qui rendront les clients heureux et qui, en fin de compte, auront un impact sur la situation financière ?" 

Dès lors que l'un de ces quatre axe de performance est défini, les objectifs importants relatifs à cet axe peuvent être élaborés. Le modèle BSC comprend des objectifs, des mesures, des initiatives et des indicateurs. Avec cette structure, les BSC opèrent de manière descendante et mettent l'accent sur la mesure de ce qui est réalisé - des objectifs axés sur les résultats, tels les repères financiers que nous venons de mentionner.

Les OKR, quant à eux, ne se contentent pas d’être des objectifs qui se répercutent en cascade (vers le bas), mais permettent également de passer "à l’échelle" (vers le haut). Pour cette raison, ils se concentrent aussi sur les mesures prédictives (les “entrants”), telles que “le développement d'une offre de produits sur la région Asie-Pacifique d'ici la fin du trimestre”.

Les BSC et les OKR ont tous deux la même définition des objectifs ; pour faire simple, c’est ce qui doit être atteint. Cependant, avec les tableaux de bord prospectifs, il peut y avoir bien plus d'objectifs que ce que ne permettrait idéalement un système OKR.

Chez In Excelsis, nous recommandons un maximum de 3 à 5 objectifs à un moment donné, alors que les BSC peuvent en avoir jusqu’à 10 ou 15.

Pour les BSC, les "Mesures" correspondent à la même chose que les "Résultats Clés". Mais les BSC ne possèdent traditionnellement qu'une ou deux mesures par objectif, alors qu'avec les OKR, vous pouvez avoir de 3 à 5 résultats clés.

Concernant les BSC, les "Initiatives" (parfois aussi appelées des "Projets", des "Actions" ou des "activités hors tableau de bord Prospectif") sont des extensions nécessaires pour permettre d’atteindre un Objectif. La plupart des entreprises définissent quelques initiatives pour chaque objectif. Par exemple, pour l'objectif "Apprentissage et Croissance", il s'agira d'achever le déploiement d'une nouvelle application de sondage sur la satisfaction des équipes.

Dans l'ensemble, les OKR n'utilisent pas de paramètres lors de leur création. Dans les OKR, c'est l'équipe qui décide de la priorité. Cela signifie que la prise de risque est encouragée.  À contrario, les BSC mettent l'accent sur la responsabilité par rapport un ensemble d'activités planifiées à l'avance étant donné qu’ils visent des résultats tels que les objectifs financiers.

Voici deux graphiques résumant ce comparatif : 

Exemples de BSC et d’OKR

Pour illustrer les différences entre les tableaux de bord prospectifs et les OKR, prenons l'exemple d'un système ferroviaire de banlieue :

Avec les BSC, chaque élément d’une cellule peut être décomposé plus finement afin de préciser spécifiquement les mesures de réussite de cet élément. Par exemple :

Comme vous pouvez le constater, les OKR aident à définir ce à quoi ressemblerait le lancement réussi d'un programme d’évaluation des trajets en collectant des chiffres précis ainsi qu’un commentaire. Cette micro-définition du succès qui différencie les BSC et les OKR est entre autres due aux cadences différentes des deux stratégies.

Fréquence à laquelle fixer les BSC

Les BSC sont généralement rédigés et conçus pour rester en place pendant au moins un an. En raison de ce cycle, les performances ont tendance à être annuelles et liées à des objectifs financiers.

Les OKR, quant à eux, sont conçus pour rester dans une organisation pendant un cycle, généralement un trimestre (entre deux et quatre mois). Après cela, les OKR sont évalués et de nouveaux OKR sont rédigés. Mais tout au long du cycle, les OKR sont conçus pour être fréquemment révisés afin de pouvoir être ajustés au fur et à mesure que l'équipe en apprend davantage sur la manière d'atteindre des objectifs ambitieux.

Fréquence à laquelle réviser les BSC

Traditionnellement, les BSC sont révisés chaque année, sans qu'il soit nécessaire de vérifier si la stratégie fonctionne.

C'est le contraire des OKR, dont le succès est inextricablement lié à un autre acronyme, les CFR. Les CFR sont la “deuxième partie” du modèle de fixation des objectifs OKR et signifie Conversations, Feedback et Reconnaissance. Les CFR permettent de mettre en contexte et de discuter de la pertinence d'un objectif (là où les OKR sont souvent noir ou blanc) et pas uniquement lorsque les OKR sont évalués en fin de cycle.

Les CFR devraient avoir lieu, idéalement, lors des rendez-vous hebdomadaires tout au long du cycle OKR

La révision des OKR permet de s'assurer qu'ils restent toujours pertinents et précis au fur et à mesure que de nouvelles informations sont apprises en cours de cycle. Cela permet également d'avoir des conversations qui aident à mettre en avant les compétences essentielles, à éliminer les obstacles et à faire évoluer les priorités.

Cette gestion continue des performances est l'une des grandes différences entre les OKR/CFR et les BSC.

Liens entre rémunération et primes dans les BSC

Les BSC diffèrent également des OKR en ce qu'ils établissent une corrélation directe entre d’une part les objectifs financiers et d’autre part les évaluations de performance, les primes et la rémunération. L'intention est d'encourager à la fois à la clarté dans la fixation d’objectifs et à la transparence à propos des objectifs souhaités. 

Les OKR, en revanche, ne sont pas destinés à être liés aux performances. Ils doivent être dissociés du processus de fixation d’objectifs afin que les équipes soient motivées pour se fixer des cibles qu'elles pourraient éventuellement ne pas atteindre sans pour autant risquer d'être pénalisées financièrement.

Comme l'affirme Laszlo Bock, vice-président senior des ressources humaines chez Google de 2006 à 2016, "Vous pouvez totalement rétribuer une organisation commerciale sur la base de leurs quotas de vente. Si vous voulez que leurs chiffres de vente fassent partie de leurs OKR, n'oubliez pas que chaque fois qu'il y a un plan d'incitation à la vente, cela conduit à des incitations perverses, pas nécessairement liées aux OKR d’ailleurs."

Lorsque l'objectif est le bénéfice pur sans un "objectif de qualité" qui équilibre les choses, les conséquences de ces incitations perverses peuvent conduire par exemple à encourager le volume au détriment du profits ou bien à mettre la priorité sur les contrats d'entreprises qui rapportent immédiatement, mais qui s’étiolent à plus long terme.

Gardez à l'esprit que les deux systèmes sont seulement des outils, et non des solutions miracles. Aucun d’eux ne remplace une culture saine ou un excellent leadership dans l’entreprise, cependant ils permettent tous deux de mettre en place des lignes directrices afin d’aider les équipes à s’orienter vers un succès collectif.

Utilisation conjointe des BSC et des OKR

Les BSC peuvent être utilisés avec les OKR de manière complémentaire, en particulier au niveau de la direction. Dans ce cas, la carte stratégique des BSC peut aider les cadres et autres dirigeants à élaborer des OKR en observant ce qui est important pour l'année en cours et en la décomposant, puis en l’enrichissant.

Par exemple, une telle carte stratégique permet de visualiser la façon dont les OKR se répercutent dans l'organisation. Et comme les organisations saines s'efforcent de faire en sorte que la moitié de leurs objectifs proviennent de la base, une carte stratégique BSC est un excellent moyen de s'assurer que les dirigeants de l'entreprise se sont intéressés à tous les collaborateurs qui se trouvent en première ligne.

À partir de là, les OKR aident une organisation à prendre le pouls de ce qui est le plus important au sein de chaque département ou équipe pour le mois ou le trimestre à venir avec des résultats clés et des CFR. 

Ainsi, alors que les BSC aident à développer des approches holistiques de la stratégie, les OKR permettent de s'assurer que les stratégies ne deviennent pas trop macro, qu'elles ont des paramètres de mesure mieux définis et plus en cohérence avec la fenêtre de temps visée, et qu'elles ne sont pas uniquement tournées vers des objectifs finaux.

Entreprises où les BSC sont pratiqués

Les BSC restent très répandus et sont à ce jour pratiqués par de nombreuses entreprises. 

Au niveau international, on peut citer Volkswagen, Wells Fargo, Apple et Verizon. Au niveau national, plusieurs de nos clients utilisent également les BSC.  Il s’agit plutôt d’entreprises du CAC40 ou d’entreprises de taille intermédiaire.

Vous souhaitez aller plus loin

Avez-vous essayé les OKR et les BSC ? 

Quelle est votre expérience ? 

N’hésitez pas à nous en faire part.  C’est avec plaisir que nous lisons vos commentaires.  Nous ne manquerons pas de vous donner des pointeurs vers les ressources les plus appropriées.


Publié en français avec l’aimable autorisation de Sam Prince.
L'article original est également accessible en anglais.

Autrice : Marilyn Napier

Marilyn Napier est responsable du marketing de contenu chez Ally.io, partenaire d’In Excelsis.  Elle s’est récemment entretenue avec Rick Klau, que vous connaissez peut-être grâce à la vidéo Youtube "How Google sets goals: OKRs".

Rick a passé plus de 13 ans chez Google, et est actuellement partenaire opérationnel principal de Google Ventures. Avant de rejoindre Google, Rick était vice-président en charge du service aux éditeurs chez FeedBurner, qui a ensuite été racheté par Google. Il possède une grande connaissance des Objectifs et Résultats Clés (OKR) qu'il a généreusement accepté de partager avec nous.

Marilyn : Pouvez-vous nous parler du moment où vous avez commencé à utiliser les OKR chez Google et comment s’est déroulé ce processus pour vous ? 

Rick : La première fois que j’ai utilisé les OKR, c’était juste après l'acquisition de FeedBurner. J'ai rejoint une équipe de développement commercial où l’on m'a dit : “Nous sommes sur le point d’entamer un nouveau trimestre, et l'une des premières choses à faire est de rédiger vos OKR.”

Je n'avais aucune idée de la signification de cet acronyme. Je n'avais jamais entendu personne parler de ce processus. Et honnêtement, ayant travaillé dans des start-ups auparavant, nous n’avions pas vraiment de discipline ou de cadre pour établir des objectifs. Nous devions juste faire ce qui devait être fait et vérifier périodiquement qu'il n'y avait pas de meilleures choses à faire.

Mon premier contact avec les OKR m’a directement fait plonger dans le grand bain. J’ai compris les choses au fur et à mesure, principalement en observant l'équipe qui faisait ce travail et en essayant de comprendre les individus qui m’entouraient.

Quelles étaient leurs caractéristiques communes ?

Ils s'engageaient tous sur un certain nombre de choses. Ils étaient ambitieux. Il y avait des paramètres associés aux quelques objectifs qu'ils s'engageaient à atteindre. Il semblait même qu'ils se préparaient à l'échec dès le départ parce que plusieurs des objectifs semblaient avoir de fortes chances de ne pas aboutir, comme si cela était au delà du champ des possibles.

J'ai appris à mieux comprendre les OKR lors les années suivantes, j’ai alors réalisé qu’ils avaient été essentiels au succès de Google.

Marilyn : Nous parlons beaucoup de la nécessité pour les dirigeants d’adhérer et de s’engager dans cette approche OKR pour qu’elle soit efficace. Dans quelle mesure est-il important d'avoir cet engagement au niveau du leadership pour que cela fonctionne ? 

Rick : Je pense que c’est là le principal enjeu. Si l’équipe dirigeante ne comprend pas ce dont il en retourne ; si elle n’est elle-même pas convaincue de l’idée et ne la communique pas à l’ensemble de l’entreprise... cela ne pourra pas fonctionner. 

Je pense que si vous n'êtes pas prêt à prendre le risque d’échouer, vous allez introduire des freins considérables à votre organisation.

Cela ressemble beaucoup à l'apprentissage d'une nouvelle langue. Lorsque l'entreprise s'engage à utiliser les OKR comme cadre de travail, tout le monde doit en comprendre les codes. Par exemple, si seul le département production comprend le système des OKR, il aura des raisons de refuser certaines choses que les autres personnes de l’entreprise ne comprendront pas. Ils ne disent pas non parce que votre travail n’est pas bon, ils disent non parce qu'ils ont choisi de se concentrer sur des choses de plus grande valeur et à plus fort impact.

Si l'ensemble de l'entreprise parle le même langage, il est beaucoup plus facile d’avoir une conversation. Il est plus simple d’interpréter ce que vous entendez lorsque c’est un autre groupe de personnes qui répond à votre question. Par exemple, à la question “je souhaiterais que vous puissiez vous concentrer sur telle tâche”, le département production peut répondre “nous allons finalement allouer les ressources à d’autres choses car ce n’est pas notre priorité pour ce trimestre”.

C'est beaucoup plus évident lorsque le PDG communique à son équipe l'importance du cadre de référence et la nécessité qu’il y a à le comprendre et à l'adopter dans toute l'entreprise. Je pense qu’il augmente ainsi grandement la probabilité de succès de son entreprise.

Marilyn : Y a-t-il d'autres conseils que vous donneriez à une organisation qui commence à utiliser les OKR afin de réussir la mise en œuvre ? 

Rick : Avant tout, je pense qu'il ne faut pas présumer que vous allez réussir du premier coup.

En regardant en arrière trois mois plus tard (si vous avez déterminé qu'une cadence trimestrielle est appropriée), le premier trimestre peut sembler un peu raté. Mais l'une des meilleures choses qu'un PDG puisse faire est de démontrer à son équipe que personne ne se fera virer si l’un de ses OKR n’a pas réussi à décoller. Personne ne sera puni. Il n’y aura pas de conséquence pour l’équipe. L’important à retenir est que nous avons appris quelque chose. Nous en savons maintenant un peu plus qu’auparavant. Cela nous aidera pour la prochaine série de prédictions que nous aurons à faire sur les résultats à atteindre. Maintenant, nous en savons un peu plus sur les obstacles de l'équipe ou de l’entreprise que nous ne connaissions pas. Nous sommes donc plus intelligents.

L'autre chose que j'aimerai pouvoir modifier dans la vidéo des OKR est sa longueur. Je la rendrai beaucoup plus courte maintenant que je sais que tant de personnes l'ont regardée. 

De plus, une chose que je ne savais pas à l'époque, mais que j'ai apprise au travers des conversations que j’ai eues avec des centaines de fondateurs de startups et d'équipes de direction, est qu’il ne faut pas se préoccuper des OKR individuels, et ce en particulier dans le scénario que vous avez décrit avec le PDG, ou l'équipe, qui essaie de se lancer dans les OKR. La taille de l'entreprise n'a pratiquement aucune importance. Concentrez-vous sur la fixation d'une poignée d'objectifs au niveau de l'entreprise : moins il y en a, mieux c'est.

Les entreprises me disent toujours qu'elles ont besoin de quatre, cinq ou six objectifs. J'essaie de leur dire qu'elles n'en ont besoin que de trois, et que deux seraient même mieux. Ensuite, propagez cela du niveau de l'entreprise au niveau de l'équipe, mais n'allez pas plus loin. 

Pour revenir à mon exemple d'apprentissage d'une langue, faites cela jusqu’à ce que vous ayez développé une aisance dans la façon de communiquer les uns avec les autres sur ce que vous faites et sur ce que vous avez convenu de ne pas faire. En fin de compte, je pense que c'est sans doute encore plus important que les choses auxquelles vous vous êtes engagés. Essayer de traduire cela en engagements individuels sera, je pense, à la fois difficile et pas davantage productif.

Si vous y arrivez du premier coup, je pense que la meilleure chose est de faire en sorte que l'organisation dans son ensemble exécute les tâches avec plus d'agilité, en communiquant les uns avec les autres. Peut-être commencerez-vous alors à voir certaines prédictions d’objectifs se réaliser ? 

Rien n'est plus agréable pour une équipe que d’anticiper un résultat déraisonnable, de faire tout ce qui est en son pouvoir pour qu'il se réalise, puis de regarder en arrière et de se féliciter d’avoir réussi. Cela n’a été possible que parce que l’équipe s’est donné les moyens de réussir.

Cela peut durer deux trimestres, ou une voire deux années. Ensuite, je pense que vous commencerez à avoir certaines personnes dans l'organisation qui perçoivent les OKR comme une façon utile d’entreprendre davantage que ce à quoi elles s’étaient initialement engagées avec leur équipe. Elles se disent que ça vaut le coup d’apprendre cette nouvelle langue.

Chez Google, dans de nombreux cas, la façon dont les gens utilisaient les OKR individuels était un moyen pour eux d'aller au-delà des engagements qu'ils avaient pris : cela améliorerait leur capacité à prendre de nouveaux engagements. C'était presque comme investir avant même d'avoir besoin de la compétence et s’assurer que vous seriez capable de prendre le relais en cas de besoin. Mais je pense que si aujourd’hui une entreprise essayait de tout faire en même temps, ce serait beaucoup plus difficile, et les gens auraient tout un tas de raisons de voir les OKR comme un frein. Cela leur donnerait l'impression que les choses sont plus difficiles à accomplir.

Marilyn : On dirait que chez Google, les OKR étaient tellement intégrés à la façon de travailler que vous n'aviez jamais à réfléchir au processus, car il faisait simplement partie de la culture. Est-ce exact ? 

Rick : Oui, c’est exact. 

Fut un temps où je faisais partie de l'équipe qui a construit ce qui est devenu Google+, et Sergey a été durant plusieurs mois dans pratiquement toutes les réunions stratégiques majeures. Puis, à un moment donné, il a changé d'objectif. C’est à cette période que Google X a commencé à être autonome, et il n'assistait donc plus à autant de réunions. Mais j’ai compris que, parce que les OKR étaient tellement ancrés dans le mode de fonctionnement de l'organisation, nous savions tous assez bien comment Larry et Sergey concevaient la prise de décision, et leur absence ne signifiait pas qu'ils n'étaient pas nécessaires. Ils furent évidemment absolument essentiels tout au long de l'évolution de Google. Cela signifiait que lorsque l'un d'entre nous devait prendre une décision, les quatre autres pouvaient se retrouver autour d'une table et avoir une véritable discussion. C'était comme si nous pouvions les visualiser dans la pièce et imaginer ce qu'ils diraient s’ils étaient là. Le plus souvent d’ailleurs nous arrivions à un consensus parce que le cadre de travail avait déjà été communiqué le trimestre précédent et le trimestre d'avant, stipulant ce qui était vraiment le plus important et la façon de mesurer si nous avions atteint le résultat souhaité.

Cela n'a pas totalement éliminé les requêtes à leur adresser, mais dans 90% des cas, notre équipe et toutes les autres équipes qui avaient des discussions similaires et des décisions à prendre pouvaient les prendre immédiatement, comme si Larry et Sergey avaient été dans la pièce. Ainsi, nous étions plus rapides pour canaliser les discussions et nous mettre d'accord sur le fait que, pour une décision particulière à prendre, le résultat serait meilleur si nous faisions A plutôt que B. En conséquence, pour 90 % de ces décisions potentielles, celles-ci n’avaient pas besoin d’aboutir dans leur boîte de réception et attendre leur retour.

Marilyn : À votre avis, quelle est la partie la plus précieuse des OKR ? 

Rick : J'aimerais pouvoir vous dire que je l’ai toujours su. Mais je pense qu'il m’a fallu des années de conversations informelles après que la vidéo ait commencé à décoller pour m’en rendre compte. 

De mon point de vue, et c’est assez contre-intuitif, la partie la plus précieuse des OKR n'est pas ce qui est dans les OKR, mais ce qui n'y est pas.

Vous vous êtes engagés à atteindre des objectifs. Vous avez défini les métriques qui vous permettront d’estimer le succès si vous atteignez ces objectifs. Mais ce qui compte vraiment, c'est ce que vous vous autorisiez à dire non sans que cela soit une manœuvre politique ou par intérêt personnel. 

Vous avez dit non à son idée mais vous avez dit oui à la mienne. Pour moi, c'est ça la clé, parce que bizarrement, quand vous donnez à vos équipes la permission de dire non aux bonnes idées, elles ne vont pas s’arrêter de produire des bonnes idées mais vont commencer à comprendre qu'il y a un temps et un lieu pour les suggérer. 

Ne soyons pas distraits juste parce que quelqu'un a eu une bonne idée un mardi lors d'une réunion d’avancement, mais finissons ce que nous avions prévu de faire. Il est possible que nous ne réussissions pas à tout faire. En fait, nous ne réussirons probablement pas tout, mais nous aurons appris davantage de choses. On peut ancrer ça. Cela fait ensuite partie de la mémoire institutionnelle de l'organisation, et je saurai que la prochaine fois que j'ai une bonne idée et que quelqu'un me dit rapidement non, ce n'est pas parce que l'idée n'était pas bonne ou que je ne suis pas bon. 

Il n'y a pas de moyen plus rapide de tuer l'élan ou l'initiative dans une entreprise que de décourager la créativité au sein de l'équipe. 

Si vous n'avez pas mis en place un système tel que les OKR, qui facilite la tâche et dédramatise les "non", les gens commencent à être frustrés parce qu'ils ne savent pas comment les décisions sont prises. Ils ne comprennent pas pourquoi leur travail ne semble jamais s'élever au-dessus du lot et les équipes en souffrent. 

En ce qui me concerne, l’objectif que je recherche lorsque je m’adresse à une entreprise pour la première fois est le suivant : à quoi avez-vous dit non, et pas seulement à quoi avez-vous dit non dans le passé, mais comment dites-vous non dans le moment présent ? Avez-vous un procédé qui vous permette d'y arriver rapidement pour éviter que vous ne vous dispersiez inutilement ?

Il y a beaucoup d'autres ingrédients qui rendent, je pense, l’approche OKR si puissante, mais si je devais en choisir un ce serait : à quoi avez-vous dit non et comment l’avez-vous signalé ?

Marilyn : Vous avez récemment quitté Google Ventures. Quelle est la prochaine étape ?

Rick : C'est drôle mais je ne sais pas. Lorsque j'ai finalement annoncé publiquement la nouvelle il y a quelques semaines, plusieurs personnes m'ont contacté en privé pour me demander quelle était la face cachée de cette annonce. Comme si l’on devait toujours avoir quelque chose en tête. En fait, pour la première fois de ma carrière, j'ai suivi mon propre avis.

Au cours des huit à dix dernières années, chaque fois que quelqu'un m'a demandé des conseils en matière de carrière, je lui ai dit : ne décide pas seulement entre le fait de prendre ou de ne pas prendre tel prochain emploi, mais prend le temps d'évaluer plusieurs chemins possibles. Ainsi, lorsque vous vous engagez sur une option, vous ne vous contentez pas de dire oui ou non à cette dernière, vous la comparez à toutes les autres options possibles. Vous optez ainsi pour la meilleure option selon ce que vous cherchez à faire. 

Au cours de cette période particulière, qui dure maintenant depuis plusieurs mois, les conversations que j’ai eues ont été parmi les plus enrichissantes. J'ai parlé à des organisations à but non lucratif, à des startups financées par le capital-risque, ou encore à quelques fondateurs qui réfléchissent à leur prochain projet et qui veulent échanger des idées. Chaque nouvelle semaine a été plus stimulante que la précédente ; je n'ai aucune idée de ce à quoi la suite va ressembler. Cela va probablement prendre encore quelques mois.

La période actuelle est l’une des plus agréables que j'ai eues dans ma carrière, et c’est tout simplement merveilleux. Le seul risque est que j’y prenne trop goût et que je ne veuille pas m'engager. Je pense que je suis peut-être trop focalisé sur l'impact et les résultats, que je veuille faire partie d'une équipe capable de produire des résultats hors normes.  Sans doute la seule chose qui me manque dans cette période est d’être juste moi-même. Je n’ai pas d’équipe en ce moment, alors que j'ai eu le privilège, au cours des 20 dernières années, de faire partie d'équipes extraordinaires. C'est donc ce qui me poussera vers la prochaine étape. J'essaie juste d'être très patient.

Marilyn : Il semble que quoi que vous décidiez, ce sera passionnant. J'ai hâte de savoir où vous allez atterrir. Une dernière pensée que vous aimeriez ajouter ? 

Rick : Maintenant qu'on sait que je ne fais plus partie de GV, j'ai eu des conversations au cours du dernier mois avec un certain nombre de start-up qui m'ont contacté pour savoir si je peux leur accorder un peu de mon temps libre pour discuter avec eux. 

À la fin de la semaine dernière, j’ai eu une discussion avec le PDG d'une startup qui me demandait quels outils utiliser pour déployer les OKR. Je suis depuis longtemps d’avis qu'il ne faut jamais commencer par l'outil avant d'avoir déterminé le cadre ou le processus. Mais ce que j'ai vu au cours de trois conversations consécutives en quelques semaines, c'est qu’essayer de faire du bricolage, soit dans Google Slides ou Sheets (j'ai eu quelqu'un qui essayait de le faire dans Asana) crée un frein et vous perdez votre temps à vous battre contre des choses qui paraissent intuitives. 

C'est vrai. Faisons simplement les bonnes choses puis ensuite faisons le point à la fin du mois ou à la fin du trimestre. Il est difficile d’apprendre à dire non à un grand nombre de bonnes idées, ou d’apprendre comment aboutir à un alignement entre les équipes. L'absence d'une plateforme commune rend les choses encore plus difficiles.

Je ne vous dirai jamais : choisissez n’importe quel outil et vous y arriverez, ce sera facile. Je constate de plus en plus que pour ces équipes qui démarrent, s'engager dans quelque chose (idéalement avec un outil spécialement conçu pour cette initiative) augmente tant soit peu leurs chances de succès. Notamment lorsque vous vous demandez comment mettre l'équipe sur la voie du succès, ou comment éliminer les obstacles évidents qui pourraient se mettre en travers de votre chemin ?

L'une des raisons pour lesquelles j'ai été ravi de discuter avec toi et Vetri au cours des deux derniers mois, c'est parce que je vois qu'il existe des outils qui n'existaient tout simplement pas il y a huit ans lorsque j'ai enregistré cette vidéo et qui, à mon avis, conduisent à libérer un potentiel bien plus grand.  C’est ce qui est passionnant.

Vous êtes impatients de voir la direction que je vais prendre. Moi aussi. C'était amusant d'apprendre à tous vous connaître et de voir où cela nous mènera, parce que je pense que ce que vous êtes en mesure de permettre et d'accélérer pour les entreprises est de très bon augure pour les entreprises qui sont prêtes à faire cet investissement. Donc, je vais m'arrêter là.

Merci Rick pour cette conversation instructive !


Publié en français avec l’aimable autorisation de Marilyn Napier.
Nota : La conversation ci-dessus est également accessible en anglais.

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